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d’un gentilhomme porta la main à la garde de son épée, et ce fut sous le coup d’une émotion inexprimable que les trois ordres entrèrent dans leurs chambres respectives afin de délibérer sur la demande du maréchal. Celui de l’église, composé d’évêques pour la plupart étrangers à la Bretagne et d’abbés aspirant à l’épiscopat, fut d’avis d’enregistrer, pour obéir aux ordres du roi. Le tiers, dont les membres les plus indépendans avaient été antérieurement éliminés, finit par se ranger au même avis, mais en arrêtant une rédaction qu’il estima suffisante pour sauvegarder les droits menacés de la province. La noblesse refusa l’enregistrement d’une voix unanime. Les trois ordres étant revenus sur le théâtre commun des séances, où les présidens firent connaître le résultat des délibérations prises aux chambres, un débat d’une violence sans exemple s’engagea entre les commissaires du roi et messieurs de la noblesse, les premiers prétendant qu’aux termes du règlement de 1687 l’enregistrement devait être prononcé sur l’avis conforme de la majorité des ordres, les autres maintenant que l’unanimité était nécessaire, puisqu’il s’agissait d’une question d’impôt, laquelle, d’après les traditions constantes de l’assemblée, ne pouvait être décidée qu’avec l’assentiment des trois ordres.

Le tiers et le clergé lui-même partageaient au fond toutes les convictions de la noblesse malgré leur attitude plus réservée. Aussi revinrent-ils bientôt par voie indirecte sur leur refus de protester, et une commission spéciale fut nommée à l’effet d’examiner la question que venait de faire surgir le vote rendu à deux ordres contre un, et pour enjoindre en tout état de cause au procureur-général-syndic de se rendre immédiatement à Paris afin de s’y pourvoir par voie de requête contre l’arrêt du 30 juillet. Soit que le commandant redoutât les explications que pourrait donner aux ministres M. de Coëtlogon, soit qu’il eût reçu un ordre général pour interdire à l’avenir l’envoi de toute députation à la cour, il notifia au syndic des états la défense formelle de partir. Cette interdiction était à peine connue, que les états se réunissaient en tumulte pour protester, retrouvant sous le coup de l’émotion populaire l’unanimité qui leur avait manqué à l’ouverture de la crise. Exaspérée de l’obstacle apporté par M. de Montesquieu au départ du procureur-syndic, l’assemblée, ralliée tout entière pour repousser une agression manifeste contre son droit le plus cher, fit le lendemain une démarche d’une portée fort sérieuse en donnant l’ordre à son procureur-général de se pourvoir immédiatement contre l’arrêt du conseil au greffe du parlement de Bretagne. C’était associer dans une lutte légale contre l’autorité royale les deux grandes forces morales de la province, et les conséquences d’un tel concert