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ment, car « ce corps va devenir le foyer de l’agitation, et ce sera surtout sur lui qu’il faudra frapper. » Le maréchal entretient cependant l’espérance que le parlement n’ira peut-être pas jusqu’à favoriser le refus de l’impôt, « parce que ce refus mettrait en danger le paiement de ses rentes et de ses pensions. »

Il ne faut pas toujours juger les autres d’après soi-même, M. de Montesquiou en fit l’expérience. La crainte de mettre en danger leurs pensions n’empêcha pas les membres du parlement d’accomplir leurs devoirs de magistrats et de citoyens. Ils se déclarèrent donc hautement favorables à ceux qui sur tous les points de la province refusaient les contributions, dont la perception avait cessé d’être légale depuis le 1er janvier 1718. Si les efforts du président de Marbœuf parvinrent à détourner le danger, un moment imminent, d’un arrêt rendu pour légitimer les résistances, le parlement se refusa, malgré des lettres de jussion, à enregistrer l’arrêt du conseil rendu le 18 mars, afin de prescrire, d’ordre royal, la perception des contributions ordinaires en Bretagne. Ne se contentant pas d’ailleurs d’opposer une force d’inertie à une illégalité manifeste, le parlement de Rennes envoya au roi une députation de douze conseillers, en tête de laquelle il plaça son premier président, M. de La Bourdonnaye de Blossac.

Sa majesté ne touchera pas à vos privilèges, répondit à la harangue de ce magistrat le garde des sceaux d’Argenson du ton dont l’ancien lieutenant-général de police parlait aux mutins, terrifiés, selon Saint-Simon, par le seul froncement de ses sourcils. Ces paroles furent l’unique résultat de la démarche que ces douze conseillers s’estimèrent heureux d’avoir pu accomplir sans aller partager avec plusieurs de leurs compatriotes les plaisirs de la Bastille. A la même date, un assez grand nombre de gentilshommes exaspérés se réunissaient à Paris pour adresser au roi un long exposé justificatif de la conduite de la noblesse, exposé dans lequel une plume habile résuma tous les actes constatant les droits reconnus par la France à la Bretagne depuis sa réunion à la couronne[1]. Les gentilshommes bretons obtinrent dans le monde et même à la cour le succès alors assuré à quiconque venait ouvrir des horizons nouveaux devant l’impatience publique. La société de Sceaux les accueillit avec un empressement particulier, et le comte de Laval devint un intermédiaire fort actif entre la duchesse du Maine et des hommes irrités que cette princesse ne considérait pas comme impossible de transformer en conspirateurs. D’après la relation manuscrite du président de Robien, ce fut dès le commence-

  1. Ce document a été intégralement publié dans les Mémoires de la Régence, t. III, p. 12.