Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occultes, qui furent l’objet de tant de plaisanteries et de sarcasmes au XVIIe siècle. La physique épicurienne ou atomiste était bien supérieure à la physique péripatéticienne. La donnée même des atomes, à laquelle la chimie moderne devait donner une nouvelle forme et une nouvelle vogue, avait évidemment une certaine valeur scientifique; en expliquant tous les phénomènes par la figure, le contact, la situation, les atomistes ont certainement eu la première conception de l’explication mécanique de l’univers. Cependant ils conservaient encore, sous une autre forme, la théorie des qualités: ils les avaient transformées en espèces. Chaque genre de qualités sensibles se ramenait à un certain genre de particules, émanées des corps et venant s’introduire dans les organes; les émanations odorantes devenaient le type de toutes nos sensations : espèces colorées, espèces sonores, espèces sapides, servaient d’intermédiaires et de messagers entre les corps extérieurs et le sensorium des animaux. Ainsi, pour Démocrite et pour Épicure, la chaleur, la lumière, le son, étaient de véritables substances matérielles. Sans doute les atomistes avaient bien vu déjà ce qu’il y avait de relatif et de subjectif dans nos sensations, mais ils en matérialisaient les causes. Descartes est le premier qui ait dit le mot de la science moderne : c’est que toutes ces qualités sensibles ne sont que des modes du mouvement, et que l’univers n’est qu’un problème de mécanique. Jusqu’à quel point cette conception générale pourrait-elle se rencontrer dans tel ou tel savant contemporain ou antérieur? C’est ce que nous ne sommes point en mesure de dire; mais que dans l’histoire de la philosophie elle soit une véritable découverte originale, il est difficile de le contester. Suivant Cuvier, le seul phénomène qui nous soit clairement et distinctement connu, c’est le phénomène du choc, et nous ne pouvons prétendre avoir expliqué les autres phénomènes qu’à mesure que nous pouvons les faire rentrer dans les phénomènes du choc. Là est tout le principe de la physique cartésienne. Cette physique, erronée et romanesque dans toute sa partie positive, était au fond dans la vraie voie. Seulement, comme il arrive d’ordinaire lorsqu’un problème est posé pour la première fois, on n’en découvre pas la complexité. Descartes n’a pas vu que la solution mécanique du problème de l’univers ne pouvait être atteinte ni par un seul homme ni peut-être même par la suite des siècles, car alors la science serait finie, et l’homme pourrait dire : Je suis Dieu. Descartes a donc été forcé, par son ambition d’explication universelle, de substituer des hypothèses à l’analyse précise des faits; par ce côté, sa cosmogonie et sa théorie de l’univers sont encore de la famille des cosmogonies anciennes, quoique la pensée en soit éminemment moderne. De là le discrédit qui depuis le