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doutait guère qu’il inaugurait quelque chose de nouveau; une seconde fois avec Descartes, qui cette fois savait ce qu’il faisait, et voulait le faire. Eh quoi ! proposer à l’esprit humain de se dépouiller volontairement de toutes ses croyances et de toutes ses opinions pour recommencer à nouveaux frais, ce ne serait pas là une pensée originale et créatrice! Quel est donc le philosophe dans l’histoire qui a fait cela? Que Descartes ait réservé dans son doute la religion et la politique, nos téméraires d’aujourd’hui peuvent lui en faire un crime; mais on ne fait jamais plus d’une révolution à la fois : c’est beaucoup d’une seule. Descartes a été Descartes; il n’a été ni Voltaire, ni Rousseau; un seul homme ne peut à lui seul accomplir le travail de l’humanité tout entière. Il se bornait, disait-il, « à tâcher de réformer ses propres pensées et à bâtir en un fonds qui fût tout à lui. » Était-ce donc là une si modeste entreprise? N’était-ce pas la première et la plus nécessaire de toutes les réformes? car, pour réformer avec fruit leurs croyances et leurs institutions, les hommes doivent commencer par apprendre à penser.

Il est incontestable que le célèbre : je pense, donc je suis, était déjà dans saint Augustin; mais c’est beaucoup dire que d’affirmer avec M. Ritter que ce principe n’était jamais tombé dans l’oubli. Je voudrais bien savoir quel rôle il jouait dans la philosophie scolastique; je ne me rappelle pas l’avoir jamais rencontré dans aucun théologien du moyen âge. Lors même qu’on l’y rencontrerait dans quelque argumentation isolée, cela ne détruirait pas l’originalité de Descartes, qui en a fait un principe. Je ne suis pas en mesure de discuter l’assertion de M. Ritter relativement à Campanella, n’ayant pas eu l’occasion d’étudier les œuvres de ce philosophe; mais pourquoi M. Ritter ne commence-t-il pas l’histoire de la philosophie par Campanella lui-même, et pourquoi suit-il le préjugé commun en commençant avec Descartes? Ne serait-ce pas que celui-ci a fait un usage plus étendu et par conséquent plus important de son principe que n’avait fait son prédécesseur? Quant à la valeur intrinsèque du cogito, ergo sum, elle est reconnue à la fois en Allemagne et en France, quoique à des points de vue différens.

L’Allemagne y voit son principe favori de l’identité de l’être et de la pensée. La France y voit la prédominance du point de vue psychologique sur le point de vue ontologique et métaphysique. L’Allemagne remarque surtout l’identité des deux attributs : je pense, donc je suis. Penser et être sont donc une seule chose. La France saisit surtout le sujet, le moi, le je, pris comme première donnée immédiate et comme la seule connaissance primitivement certaine. Je ne veux point décider entre ces deux interprétations, qui ne sont