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dédaigneux et plus acerbe. Cependant, si nous nous contentions d’opposer notre propre opinion à celle du savant critique, notre jugement pourrait paraître entaché de partialité patriotique. Commençons donc par nous couvrir de l’autorité d’un grand Allemand tout aussi compétent que M. Ritter pour juger de la vraie valeur d’une philosophie, je veux dire Hegel. Voici comment celui-ci s’exprime sur Descartes dans son Histoire de la philosophie : « Descartes est dans le fait le vrai fondateur de la philosophie moderne, en tant qu’elle prend la pensée pour principe. L’action de cet homme sur son siècle et sur les temps nouveaux ne sera jamais exagérée. C’est un héros; il a repris les choses par les commencemens, et il a retrouvé de nouveau le vrai sol de la philosophie, auquel elle est revenue après un égarement de mille ans. » On voit par ces lignes quelle était l’admiration de Hegel pour Descartes, et elles confirment cette parole du même philosophe que rapporte M. Cousin : « Votre nation, disait-il, a fait assez pour la philosophie en lui donnant Descartes. » Ce n’est donc pas un vain patriotisme qui nous autorise à considérer le philosophe français comme le vrai fondateur de la philosophie moderne, c’est le témoignage de toute l’école hégélienne, témoignage entièrement désintéressé dans cette question.

Si Descartes est le créateur de la philosophie moderne, il serait difficile de lui refuser l’originalité, car on pourrait être encore un esprit original à beaucoup moins de frais; mais tous ceux qui connaissent l’histoire de la philosophie savent à quel point la question d’originalité est embarrassante. Il est toujours possible à un esprit prévenu de montrer que tel philosophe manque d’originalité. Jamais on ne peut surprendre une idée qui ait un tel caractère de nouveauté que l’on ne puisse en trouver le germe dans quelque philosophe antérieur ou contemporain. Même dans les sciences exactes et positives, c’est déjà une grande difficulté d’assurer à chacun le sien; la difficulté est infiniment plus grande en philosophie, car dans les sciences il s’agit de découvertes précises et positives qui peuvent avoir une date, en philosophie au contraire il ne s’agit que d’idées. Or une idée ne se distingue pas aussi aisément d’une autre idée qu’une loi physique d’une autre loi, un théorème d’un autre théorème; une grande pensée philosophique contient toujours le tout plus ou moins virtuellement. C’est pourquoi toutes les grandes pensées philosophiques, considérées de certains côtés, se ressemblent et s’identifient. Ainsi on dira que les idées de Platon sont la même chose que les nombres de Pythagore, que l’acte d’Aristote est la même chose que l’idée de Platon. Ainsi l’on dira encore que le mécanisme de Descartes est le même que celui d’Épicure, que son axiome : je pense, donc je suis, est déjà dans saint Augustin, que