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nette[1]. En face d’hommes vigoureux et fiers comme les Kabyles, nul doute qu’elle échouerait ou se ruinerait en guerres interminables. En pays nègre, elle ne saurait comment discipliner ces noirs si souples et si vivaces, et il arriverait, — ce qui arrive dans les colonies malaises par les Chinois et à Haïti par les nègres eux-mêmes, — que les Européens seraient noyés dans une population de race inférieure.

Reste à examiner la part de la France. Les Anglais daignent quelquefois admirer notre établissement du Sénégal, tandis qu’ils se plaisent à nous reprocher le développement trop lent de l’Algérie. En Algérie, disent-ils, après trente-sept ans d’occupation, il ne se trouve encore que 200,000 Européens; pour eux, ce chiffre est la mesure de tout progrès. Il serait puéril de prétendre qu’il n’y a jamais eu de faute commise dans le gouvernement de cette grande colonie. On peut se plaindre que l’immigration européenne, l’immigration française surtout, n’ait pas toujours été favorisée comme elle devait l’être; mais il est incontestable que l’immense influence dont nous jouissons aujourd’hui sur les populations berbères, et qui régnera plus tard sans contre-poids sur tout le quart nord-ouest de l’Afrique, est due aux ménagemens gardés envers les indigènes. La France joue là un rôle auquel l’esprit national, tolérant, flexible et généreux, la disposait à merveille. C’est par les mêmes moyens qu’elle a su se placer sur un bon pied en Égypte et éviter en Abyssinie les embûches dont les Anglais ont été victimes. On peut donc espérer que notre pays prendra une large part aux événemens qui renouvelleront l’aspect intérieur de l’Afrique. Cet obscur continent était resté jusqu’à ce jour dans l’isolement, comme un fragment détaché d’une autre planète; à peine en connaissait-on les bords. La race noire dont il est le domaine ne semblait propre qu’à fournir des esclaves au monde entier. Les Européens, missionnaires, voyageurs ou négocians, s’efforcent à l’envi, depuis cinquante ans, de changer cet état de barbarie. L’Afrique est à la veille de se rajeunir par l’introduction de nouvelles mœurs ou de nouvelles races d’hommes. Les vastes plaines du haut plateau central, dont les explorateurs nous vantent la fertilité, seront quelque jour le siège de puissans empires où, par les progrès de la civilisation, nègres et blancs s’amalgameront en vertu d’affinités qu’il est difficile de prévoir.


H. BLERZY.

  1. L’Inde n’est pas une exception, parce que ce n’est pas, à proprement parler, une colonie. L’Angleterre y a trouvé des royaumes tout organisés : elle supplante les monarques indigènes, à l’avantage des populations sans contredit; elle ne colonise pas dans le sens historique du mot.