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libres dès qu’ils arrivaient sur le territoire de notre colonie. Bien que ces nègres eussent le plus souvent quitté leur patrie dès l’enfance et qu’ils fussent fort ignorans sur la plupart des sujets que les autorités algériennes avaient intérêt à approfondir, on recueillait en les interrogeant quantité de renseignemens précieux sur la constitution politique du Soudan, sur les mœurs, les produits, les industries de cette singulière contrée. Il s’établissait ainsi une sorte de lien moral entre l’Algérie et le pays des nègres.

Un voyage remarquable vint bientôt fournir des renseignemens plus précis et plus directs sur les régions intermédiaires du Sahara. En 1859, un jeune homme de dix-huit ans, M. Henri Duveyrier, un Français cette fois, arrivait en Algérie avec l’intention de pénétrer au cœur de ce que l’on était jusque-là convenu d’appeler le grand désert. De fortes études l’avaient préparé à ce genre d’exploration. Si l’on veut contribuer au progrès de la géographie, il ne suffit pas en effet de parcourir une contrée au hasard et d’en décrire les mœurs ou d’en dessiner les paysages; il faut encore marcher le baromètre et le sextant à la main, et rapporter des observations exactes qui permettent de dresser la carte du pays. M. Duveyrier avait acquis l’habitude des instrumens de précision. Une première excursion le conduisit sur la route du Touat jusqu’à El-Goléa; mais le fanatisme des tribus le contraignit de revenir en arrière. L’année suivante, il s’associait au cheik Othman, qui l’accompagna jusqu’à Ghadamès, puis il partit de cette ville avec Ikhenoukhen, le suivit jusqu’à Ghât, à Mourzouk, et ne revint en Algérie qu’en passant par Tripoli, après avoir parcouru en différens sens la partie du Sahara qui se trouve au sud de la régence de Tunis et de la province de Constantine. Le jeune voyageur ne s’en tint pas à des études scientifiques. Doué de qualités aimables, il sut conquérir la sympathie des Touaregs et les attacher au parti de la France. Le terrain étant ainsi préparé, le gouverneur-général de l’Algérie crut opportun d’envoyer à ces habitans du désert une ambassade, moitié militaire, moitié savante, qui se rendit sans difficultés à Ghadamès par la voie de Tripoli, et en revint par Tougourt et Biskra, non sans avoir conclu avec les Touaregs une convention écrite en vertu de laquelle ceux-ci s’engageaient à convoyer et protéger nos caravanes entre l’Algérie et le Soudan.

Voilà le bref résumé des incidens qui nous ont menés jusqu’au centre du Sahara ; on peut se demander maintenant ce qu’est ce pays si longtemps inconnu. On se l’était figuré comme une suite monotone de plaines de sable inhabitables, quelque chose comme une steppe plate et uniforme; bien loin qu’il en soit ainsi, c’est une surface aussi accidentée que toute autre portion du globe.