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trict inhospitalier. Les relations de ces nombreux explorateurs nous font comprendre que le Soudan tout entier est le prolongement des hauts plateaux de l’Afrique australe; ce sont, comme au sud de l’équateur, de larges plaines à quelques centaines de mètres d’altitude au-dessus de l’océan, des montagnes granitiques, des lacs ou plutôt des lagunes sans profondeur. Le lac Tchad, la plus étendue et la mieux connue de ces nappes d’eau, n’est qu’un marais infesté par des myriades de moustiques; cependant deux ou trois grandes rivières l’alimentent. Les éléphans, les hippopotames et les crocodiles se plaisent au milieu de ces marécages; les serpens venimeux et les scorpions y abondent ; la végétation, favorisée par la chaleur et l’humidité, s’y développe avec vigueur. Le sol conviendrait à toutes les cultures, s’il était travaillé; le coton et l’indigo croissent à l’état sauvage, le froment réussit à merveille. Par malheur, les habitans du pays montrent une indolence extrême. La vie pastorale leur convient mieux que le travail des champs. Ils trouvent d’ailleurs que faire la guerre aux tribus voisines pour enlever des esclaves est une occupation moins pénible que de labourer la terre. Les esclaves sont si nombreux qu’ils sont à très bon marché; aussi les trafiquans manifestent-ils la plus parfaite indifférence pour la vie des hommes. Qu’il en périsse quelques-uns dans les longues caravanes qu’ils conduisent du Soudan au Maroc ou à Tripoli, ce n’est après tout que quelques têtes de moins dans le troupeau. Si l’on n’observe pas là des exemples de cette cruauté froide et sanguinaire qui a indigné les voyageurs au Dahomey et sur le Haut-Nil, les indigènes n’en sont guère plus heureux. Il n’y a pas au fond grande différence entre les sacrifices humains que commande le fétichisme et le mépris de la vie qu’autorise la religion musulmane, car les Soudaniens sont musulmans. Entre les doctrines sociales de ces peuples et les sentimens chrétiens, il y a un abîme.

Toutefois, si barbares qu’ils soient encore, les habitans du Soudan ne sont pas aussi étrangers à l’Europe que l’on serait tenté de le croire. La ville de Kouka, capitale de l’état de Bornou, est un grand centre de commerce vers lequel se dirigent les caravanes du Sahara. Les populations nombreuses qui se groupent autour du lac Tchad entretiennent de fréquentes relations avec les états du littoral de la Méditerranée ; à travers les 500 lieues de désert qui les séparent de cette mer, ils échangent leurs esclaves et les productions de leur sol contre les articles des manufactures européennes. Divers itinéraires dont les gîtes d’étape sont bien connus des marchands coupent les déserts de sable en tous les sens, convergeant vers les principales oasis, qui sont devenues des entrepôts naturels. Ainsi