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terrain que drainent ses affluens, et elles arrivent en définitive à nous le montrer comme le grand collecteur des eaux que les pluies tropicales déversent sur une surface de prodigieuse étendue. Plus long que le Mississipi lui-même, le Nil coule en une ligne presque droite sur une longueur de 36 degrés de latitude; c’est la cinquième partie de la distance d’un pôle à l’autre de la terre. Il transporte à la Méditerranée la pluie des nuages auxquels l’Océan-Indien a donné naissance, il se grossit sous l’équateur par la fonte de neiges perpétuelles, traverse les climats les plus divers, coupe les plaines de sable sans s’y infiltrer. Des races placées aux degrés extrêmes de l’échelle humaine se succèdent sur ses rives, presque sans se connaître; en remontant le fleuve de l’embouchure à la source, on admire, d’Alexandrie au Caire, les travaux de l’industrie moderne; on retrouve entre le Caire et Méroé les vestiges les plus anciens d’une civilisation primitive; plus haut, on rencontre les royaumes nègres voués à une insigne barbarie. Nul fleuve ne nous promène au milieu de tant de contrastes, et ne tient une si large place dans l’histoire des peuples et la géographie du globe. Souhaitons maintenant que de hardis voyageurs transportent leurs bateaux par-dessus les rapides de Gondokoro et voguent à pleine va- peur sur les eaux du Louta-Nzighé ou du Nyanza. Ceux-là, si la maladie les épargne et si les nègres leur sont bienveillans, auront devant eux le plus beau champ de recherches qui soit au monde.


II.

Le bassin du Nil nous a conduits jusqu’au 4e degré de latitude sud; nous sommes dans l’Afrique australe. Pour bien apprécier l’importance du point où nous venons d’arriver, il faut se rappeler que le lac Tanganika, que Burton et Speke découvrirent dans leur premier voyage, est, autant qu’on peut avoir confiance en des mesures expéditives, à une altitude moindre que les lacs plus septentrionaux dont. la jonction avec le Nil est un fait aujourd’hui démontré. Les eaux du Tanganika ne peuvent en conséquence s’écouler vers le nord; à l’est, des montagnes leur barrent le passage; à l’ouest, l’Océan-Atlantique en est à une distance très considérable : ce serait donc une mer intérieure, une Caspienne, à moins qu’on ne lui découvre un canal d’écoulement au sud. En tout cas, il paraît bien établi que la région du Nil s’arrête à la tête de cette nappe d’eau; au-delà commencent d’autres bassins, d’autres fleuves. La grande ligne de partage des eaux de l’Afrique centrale passe par cette latitude.

L’Afrique australe s’avance vers le sud en formant, comme on