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haï. » Elle s’était avilie elle-même, et de plus elle s’était épuisée dans cette lutte pour retenir une faveur que Louis XV à la fin lui laissait par lassitude, par ennui, un peu aussi par commisération bien plus que par attachement. Au bout de tout, elle eut une fantaisie étrange, celle de se convertir et d’essayer de devenir une sorte de Main tenon amie du roi, mais n’ayant plus avec lui aucun autre rapport. Elle n’eut pas le temps d’aller bien loin dans la réalisation de ce projet. C’est peu après la fin de la guerre de sept ans qu’elle se sentit atteinte d’une maladie du cœur que Quesnay combattait vainement. Elle s’éteignit rapidement le 15 avril 1764, et le lendemain de sa mort Louis XV, voyant d’une des fenêtres du palais partir le convoi qui l’emportait à Paris par un temps affreux, se chargea de son oraison funèbre : « La marquise, dit-il, n’aura pas beau temps pour son voyage. » Voilà le dernier mot de l’amour du roi ! Il montrait par cette cynique naïveté d’égoïsme le peu de traces qu’avait laissées en lui une si durable faveur. Il semblait soulagé d’un grand poids. Une question peut toujours s’élever : si Mme de Pompadour eût été une autre personne, de plus d’âme et de cœur, prenant, si l’on veut, au sérieux sa situation, n’eût-elle pas pu réveiller, aiguillonner ce prince et susciter en lui des instincts plus nobles? n’eût-elle pas pu réussir à en faire un autre homme moins assoupi dans son indolent libertinage, plus sensible à certains appels de fierté et d’honneur ? Elle n’en fit rien, elle crut trouver plus de sûreté en enchaînant Louis XV, en émoussant chez lui ce qui pouvait rester de générosité morale ; elle en était récompensée à sa mort par ce mot touchant : « la marquise n’aura pas beau temps pour son voyage! » Un autre contemporain plein de feu, Diderot, a résumé le rôle de cette favorite gracieuse et vaine. « Qu’est-il resté, dit-il, de cette femme qui nous a épuisés d’hommes et d’argent, laissés sans honneur et sans énergie, et qui a bouleversé le système politique de l’Europe? Le traité de Versailles, qui durera ce qu’il pourra, l’Amour de Bouchardon, qu’on admirera à jamais, quelques pierres gravées de Guay qui étonneront les antiquaires à venir, un bon petit tableau de Vanloo qu’on regardera quelquefois, et une pincée de cendres... » Épitaphe un peu dure, mais vraie au fond, de cette frivolité qui a eu pourtant un si grand rôle, et qui semble étrangement fade quand on la regarde à travers les catastrophes sanglantes qu’elle a contribué sans doute à préparer!


CHARLES DE MAZADE.