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ditoire étant composé d’hommes pratiques, il voulut dès le début prévenir cette objection de certains esprits bornés : à quoi cela sert-il ? « Personne, dit-il, ne conteste les applications des sciences à l’industrie : celle de Dundee n’existerait pas sans ce secours ; mais les hommes à qui on doit les grandes découvertes, les maîtres de la science, ont eu rarement dans leurs recherches un but utilitaire. Le grand physicien que l’humanité vient de perdre. Faraday, a fait plus pour les progrès de la pratique que tous les praticiens de l’Angleterre réunis, et cependant jamais il n’a travaillé en vue d’un profit quelconque. L’amour de la science, le désir ardent de connaître les admirables phénomènes du monde qui nous entoure ont été ses seuls mobiles. » Par une série d’expériences, M. Tyndall fit voir à son auditoire émerveillé comment toutes les forces physiques se transforment les unes dans les autres. « Les molécules matérielles, dit Emerson, marchent en cadence, obéissant aux lois harmonieuses de la nature, et la substance la plus commune devient aux yeux de l’intelligence un miracle de beauté. » Loin de dépouiller le monde de ses merveilles et de ses mystères, la science nous les révèle. Le givre, dont les arborisations, semblables à des feuilles de fougères, couvrent nos vitres par une froide matinée d’hiver de dessins si capricieux en apparence, démontre comme les plus brillantes expériences la transformation de la chaleur en mouvement. Échauffez de votre haleine cette pellicule de glace avant que le feu de la chambre ne soit allumé : la glace fond, puis gèle de nouveau ; prenez une loupe, et vous serez témoin du mouvement extraordinaire qui précède le regel : tout s’agite dans le liquide récemment formé ; chaque molécule semble vivante, et va se ranger à sa place suivant certaines lignes déterminées pour reproduire les figures que votre souffle avait fait disparaître pour quelques instans.

Après avoir instruit et intéressé son auditoire par sa parole claire et chaleureuse, par des expériences aussi concluantes que bien exécutées, M. Tyndall termina sa conférence par les paroles suivantes : « Le problème de l’univers dépasse notre intelligence. Semblable à un instrument de musique, elle ne rend qu’un certain nombre de sons. Au-delà et en-deçà des limites de notre clavier intellectuel, nous ne percevons que le silence. Les phénomènes de la matière et du mouvement sont compris dans ces limites, et nous devons en poursuivre l’étude aussi loin que possible ; mais en-deçà, mais au-delà et autour de nous, le grand mystère de l’univers reste sans solution. Concevez ce mystère comme vous l’entendrez, je n’ai point à m’en occuper. Je demande seulement que votre conception de l’architecte de cet univers soit digne de lui. Que votre