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Nous avons raconté cet épisode de l’enlèvement de Pie VII d’après des matériaux authentiques et incontestables; nous nous flattons, — du moins l’avons-nous essayé, — de n’avoir rien exagéré, et, si le tableau que nous avons fait des procédés de l’empereur Napoléon inspire quelque répulsion, ce n’est pas que nous en ayons forcé à dessein les couleurs ; nous les avons plutôt adoucies. Cependant, notre tâche finie, il nous a paru curieux de rechercher comment, faisant rendre compte aux évêques du concile national de 1811 de ce qui s’était passé entre le pape et lui, l’empereur avait voulu qu’on leur parlât de l’enlèvement du pape à Rome. Nous avons sous les yeux l’exemplaire manuscrit d’un mémoire demandé par l’empereur au directeur des archives impériales en 1811, M. Daunou. Les matériaux de ce mémoire, les mêmes sur lesquels nous travaillons en ce moment, avaient été officiellement communiqués au directeur des archives impériales par le ministre des cultes de l’empire. Ce travail, plusieurs fois remanié et biffé, contient un récit historique très détaillé et très bien fait, au point de vue du gouvernement français, de tous les différends survenus entre l’empereur et Pie VII. Voici textuellement ce que nous y lisons, écrit avec force ratures de la main de M. Daunou, à propos de l’enlèvement du saint-père au Quirinal : « Le pape avait tout fait pour que sa présence à Rome devînt inutile, et quelques-uns de ses partisans pouvaient, malgré lui, la rendre dangereuse. Il en sortit le 6 juillet, à l’insu de L4empereur, et vint à Savone, où sa majesté le fit recevoir, traiter, établir avec tous les égards dus au malheur. »

Certes il est triste d’avoir à raconter, comme nous avons dû le faire dans cette étude, les violences mêlées de ruses employées par un souverain tout-puissant contre un adversaire aussi faible. Peut-être est-il plus pénible encore de le surprendre, après avoir trompé tout le monde, s’efforçant de tromper son propre peuple, et à cet effet empruntant la plume exercée, mais trop serviable d’un habile écrivain et d’un ancien opposant, pour mentir aussi étrangement à la France et à l’histoire.


O. D’HAUSSONVILLE.