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respondance. Quant à Pacca, faites-le enfermer à Fénestrelle, et faites-lui connaître que, s’il y a un Français assassiné par l’effet de ses instigations, il sera le premier qui paiera de sa tête[1]. »

Ainsi l’on s’était trompé du tout au tout sur les intentions de Napoléon. La princesse Élisa et le prince Borghèse, en se pressant si fort d’expédier le pape en France, au péril même de ses jours, avaient, par excès de zèle, agi à l’opposé de ce qu’aurait souhaité l’empereur. Maintenant Fouché connaissait ses volontés; il n’y avait plus qu’à les suivre et se dépêcher de faire rétrograder le saint-père jusqu’à Savone. Ainsi fut-il fait en toute hâte; mais quelques jours après ce n’était plus cela. L’empereur avait probablement reçu de nouvelles informations venues de Turin, de Mondovi, peut-être de Grenoble même. Il savait, à n’en plus douter, quelle prodigieuse secousse imprimait aux sentimens catholiques des provinces italiennes récemment annexées, — même à ceux de notre vieille France, — la vue d’un pape proscrit, errant par les chemins. Ce n’était pas là un spectacle bon à donner à ses sujets, il ne pouvait que nuire à sa popularité. L’empereur reprend donc la plume, et il assure de rechef le plus sage de ses conseillers, l’archi-chancelier Cambacérès, que tout cela s’est fait sans ses ordres et contre son gré[2]. A Fouché, il écrit : « J’aurais désiré qu’on n’eût arrêté à Rome que le cardinal Pacca. J’aurais désiré, puisqu’on n’a pas laissé le pape à Gênes, qu’on l’eût mené à Savone; mais, puisqu’il est à Grenoble, je serais fâché que vous l’eussiez fait partir pour le conduire à Savone. Il vaudrait mieux le garder à Grenoble, puisqu’il y est; cela aurait l’air de se jouer de ce vieillard... » Si l’empereur en est à regretter ce qui. s’est fait à l’égard de Pie VII, il garde entière son irritation contre son secrétaire d’état le cardinal Pacca, qui n’a jamais fait qu’exécuter ses ordres. « Quant au cardinal Pacca, je suppose que vous l’avez envoyé à Fénestrelle, et que vous avez défendu qu’il communiquât avec personne. Je fais une grande différence entre le pape et lui, d’abord à cause de ses qualités et de ses vertus morales. Le pape est un homme bon, mais ignorant et fanatisé. Le cardinal Pacca est un homme instruit et un coquin, ennemi de la France, qui ne mérite aucun ménage- ment... Bien entendu que, si déjà vous avez fait partir le pape pour Savone, il ne faut point le faire revenir[3]. »

  1. Lettre de l’empereur à Fouché, 18 juillet 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 265.
  2. Lettre de l’empereur au prince Cambacerès, archi-chancelier de l’empire, 23 juillet 1809.
  3. Lettre de l’empereur à Fouché, ministre de la police générale, 6 août 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 309.