Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heures de l’après-midi, on abaissa les armes pontificales au château Saint-Ange, et l’on arbora le drapeau tricolore, qui fut salué d’une salve d’artillerie, tandis que des corps de troupes françaises publiaient dans la ville, au son de la trompette, le décret impérial daté de Vienne; mais laissons un instant la parole au propre ministre de sa sainteté.


« Je me précipitai soudain, écrit le cardinal Pacca, dans l’appartement du saint-père, et en nous abordant nous prononçâmes tous les deux ces paroles du rédempteur : consummatum est ! J’étais dans un état difficile à décrire; mais la vue du saint-père, qui conservait une inaltérable tranquillité, m’édifia beaucoup et ranima mon courage. Quelques minutes après, mon neveu m’apporta une copie du décret impérial. Le pape se leva et me suivit à la fenêtre pour en entendre la lecture. J’essayai de maîtriser le premier moment de la douleur pour lire avec attention cette pièce importante, qui devait nous servir de règle dans les mesures que nous avions à prendre; mais la juste et profonde indignation que m’inspirait le sacrilège qui se consommait alors, la présence en face et tout près de moi de mon infortuné souverain, du vicaire de Jésus-Christ prêt à entendre de ma bouche la sentence de son détrônement, les calomnies qu’en le parcourant de l’œil je voyais d’avance dans ce décret impie, les continuels coups de canon qui annonçaient la plus inique usurpation avec un triomphe insultant, tout cela m’émut si profondément, me troubla tellement la vue, que je ne pus lire qu’à moitié à travers de fréquentes interruptions et avec une respiration suffoquée les principaux articles du décret. Puis, observant attentivement le pape, aux premières paroles je vis de l’émotion sur son visage, et j’y remarquai des signes non pas de crainte ni d’abattement, mais d’une trop naturelle indignation. Peu à peu il se remit, et il écouta la lecture avec beaucoup de tranquillité et de résignation. Quand elle fut finie, le saint-père se rapprocha de la table, et, sans rien dire, y signa les copies d’une protestation en italien qui fut affichée dans Rome la nuit suivante[1]. »


Cependant il n’avait pas été question de la part du saint-père de la bulle d’excommunication. Ce fut le cardinal qui lui demanda s’il devait donner des ordres pour la faire publier. Pie VII parut d’abord un peu incertain. Il venait de relire exprès cette bulle; il trouvait bien fortes les expressions qu’on y employait contre le gouvernement français. Le cardinal Pacca lui fit observer que, « devant en venir à une aussi solennelle extrémité, il était pourtant nécessaire d’y présenter un tableau épouvantable, mais non exagéré de toutes les injustices, de toutes les oppressions, de toutes les violences du gouvernement impérial, afin qu’on fût convaincu

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. 1er, p. 112.