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eu l’habileté de pressentir l’année précédente les desseins de l’empereur sur l’Espagne, et qui les avait servis si bien sans en avoir reçu la confidence, s’était un peu flatté de travailler alors à son profit. Il n’avait pas vu sans une certaine jalousie la préférence donnée au roi Joseph pour occuper un trône qu’il avait si fort contribué à conquérir. La couronne de Naples, qui lui avait été donnée en échange, avait un peu calmé sa mauvaise humeur sans satisfaire toutefois complètement son inquiète ambition. La correspondance échangée entre Napoléon et le roi Joachim depuis la dernière moitié de 1808 jusqu’aux premiers mois de 1809 témoigne qu’il régnait à cette époque un peu de froid entre les deux beaux-frères. Cependant cela n’avait guère duré. On peut même conjecturer d’après certains passages des lettres du roi Murat qui ont passé sous nos yeux que le bon accord, un instant troublé, s’était rétabli précisément à propos des affaires de Rome et de l’occupation projetée des états du pape. Au 15 avril 1809, c’est-à-dire au moment où l’empereur n’avait pas encore quitté Strasbourg pour aller combattre les armées autrichiennes de l’autre côté du Rhin, Murat connaissait déjà parfaitement à l’avance les résolutions qui ne devaient être révélées aux plus intimes serviteurs de Napoléon que cinq semaines plus tard, après la défaite de l’archiduc Charles sur les bords du Danube. « J’ose garantir, écrit Murat dès cette époque, que l’événement qui se prépare à Rome n’y occasionnera aucun trouble. Il y sera reçu avec reconnaissance; il influera même sur mes états; je serai plus maître du clergé, et le crédit du pape cessera d’y exercer son action... Depuis que votre majesté m’a fait connaître ses intentions sur Rome, je ne m’éloignerai plus de Naples[1]. » Il semble résulter d’autres passages, d’ailleurs assez obscurs, de la correspondance de Murat qu’une première fois déjà Salicetti, son ministre, s’était transporté à Rome pour agir de concert avec le général Miollis, et que l’affaire avait ensuite été remise. Quoi qu’il en soit, à la date du 17 mai, c’est-à-dire le jour même où l’empereur signait les deux décrets datés de Schœnbrunn, Murat, de plus en plus pressé de voir mettre à exécution les mesures qui lui avaient été annoncées contre le saint-père, écrit de nouveau à son beau-frère : « J’attends avec impatience la nouvelle que votre majesté a pris son parti sur Rome. On me mande que le pape a voulu lancer une excommunication, mais que la majorité du consistoire s’y est opposée. Mes troupes sont prêtes et bien disposées[2]. »

Le premier soin de l’empereur après avoir signé les décrets du

  1. Lettre de Joachim Murat, roi de Naples, à l’empereur Napoléon, 15 avril 1809. — Dépôt du ministère de la guerre.
  2. Lettre du roi Joachim Murat à l’empereur, 17 mai 1809. — Dépôt du ministère de la guerre.