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au vice-roi d’Italie : « Cesarotti a laissé une histoire des papes; faites-vous rendre compte de cet ouvrage, et, s’il tend à faire connaître le mal que les papes ont fait à la religion et à la chrétienté, faites-le imprimer sans délai[1]. »

Ces puérilités de conduite et ces rudesses de langage, sans importance en elles-mêmes, n’ont d’intérêt que par le jour qu’elles jettent sur les sentimens de profonde irritation contre le pape qui couvaient chez l’empereur, sentimens encore dissimulés ou du moins un peu contraints, auxquels le retour des faveurs de la fortune allait bientôt lui permettre de donner enfin libre cours. Nous fatiguerions inutilement nos lecteurs, si nous les entretenions en détail de tous les petits incidens qui se succédèrent à Rome depuis le moment où le général Miollis avait en vain tenté d’arrêter le cardinal Pacca, désormais préservé contre de semblables violences par sa résidence habituelle auprès du saint-père, jusqu’au jour où fut officiellement proclamée la réunion définitive des états romains à l’empire français. Les scènes que nous avons déjà fait passer sous leurs yeux suffisent à bien indiquer quelle était la situation réciproque des deux partis mis en présence. Ainsi qu’il est naturel de le supposer, cette situation n’avait fait que s’envenimer en se prolongeant. De plus en plus la partie distinguée de la société romaine et le bas peuple des faubourgs prenaient parti pour le saint-père.

C’est ainsi que le général Miollis, ayant voulu, contre l’ordre précis de Pie VII, faire célébrer avec l’éclat accoutumé les fêtes du carnaval, avait dû employer des mesures de rigueur pour dresser des échafaudages le long du Corso; les Juifs eux-mêmes avaient refusé de fournir les tapisseries d’ornementation et les prix pour la course de chevaux qui d’ordinaire a lieu le mardi gras. Ce jour-là, tout le peuple romain s’était, comme sur un mot d’ordre, abstenu de paraître sur les places publiques, et les rues étaient presque désertes. Par contre, il faut dire que le commandant des troupes françaises s’était créé quelques partisans au sein de cette portion de la bourgeoisie qui s’était autrefois ralliée à la république romaine après l’enlèvement du pape Pie VI. Ses efforts secrets tendaient à l’organiser révolutionnairement et à l’exciter sous main contre le gouvernement pontifical, besogne toujours facile à quiconque prend plaisir à mettre en relief tous les vieux abus traditionnels si résolument niés de nos jours, mais qui n’en existaient pas moins à cette époque, puisqu’ils sont à plusieurs reprises non-seulement reconnus, mais tout au long dénoncés dans les mémoires des deux secrétaires d’état Consalvi et Pacca. Le commandant des troupes françaises avait pour cela des facilités singulières.

  1. Lettre de l’empereur Napoléon au vice-roi d’Italie, 3 mars 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVIII, p. 303.