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son esprit. A son départ de Paris, quand il espérait encore arranger vite et facilement les affaires d’Espagne, il avait adressé au prince Eugène, vice-roi d’Italie, des instructions où régnait la plus entière confiance, celle d’un homme toujours assuré du succès et qui ne cherche qu’à en tirer le plus d’effet possible. Il lui avait écrit : « Je désire retarder jusqu’au 30 avril l’exécution de mon décret relatif aux quatre légations, et que vous le teniez jusque-là très secret. Ces dix jours de plus vous mettront à même, ajoutait-il, de prendre mieux vos mesures, de mieux régler tout, de manière que tout cela se fasse comme un coup de théâtre[1]. » Napoléon s’était toujours complu aux coups de théâtre ; mais la pièce montée à Bayonne n’avait qu’à moitié réussi : elle avait eu pour triste dénoûment l’insurrection de l’Espagne presque entière. Contre cette nation partout soulevée pour défendre son indépendance, nos armées étaient encore restées victorieuses toutes les fois qu’elles avaient agi par grandes masses ; cependant elles étaient déjà presque cernées par des bandes qui détruisaient impitoyablement tous nos corps détachés. Une grande déception, des embarras sans nombre, des périls redoutables, se montraient là où l’empereur n’avait entrevu qu’une facile conquête. Le temps n’était plus où l’on pût aller courir en Italie quelque semblable aventure. Il valait mieux tout ajourner. Ce que l’empereur aurait préféré, c’était de n’avoir plus à s’occuper en aucune façon de cette ennuyeuse question romaine, d’autant plus ennuyeuse qu’elle tombait si mal à propos. Il lui déplaisait qu’on lui en parlât ou même qu’on s’en entretînt. Telle était la disposition d’esprit dans laquelle vint le surprendre à Bayonne la nouvelle de l’arrestation du cardinal secrétaire d’état Gabrielli. Rien de plus incommode ; mais c’était chose faite. Il ne voulut ni l’approuver positivement, ni surtout la blâmer. Le 17 juillet 1808, c’est-à-dire quelques jours avant d’apprendre une autre nouvelle bien autrement désastreuse, celle de la capitulation du malheureux général Dupont, capitulation qui allait causer à l’empereur un si violent désespoir et porter à sa puissance une si formidable atteinte, il écrivait au vice-roi d’Italie : « J’ai vu avec plaisir que vous avez fait venir à Milan le cardinal Gabrielli, évêque de Sinigaglia. Il faut le laisser là. Quand vous pourrez le voir, vous lui demanderez s’il veut ou non prêter le serment prescrit par le concordat. S’il ne veut pas, vous l’enverrez dans un couvent ; vous séquestrerez son temporel… On ne lui laissera qu’une pension alimentaire de 1,000 écus. Tout cela doit se faire sans bruit. Il ne faut imprimer aucun décret… » Agir sans parler, sans rien écrire, s’il était pos-

  1. Lettre de l’empereur Napoléon au prince Eugène, vice-roi d’Italie, 2 avril 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVI, p. 469.