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reux pour la cour de Rome; sa conscience une fois engagée, Pie VII, nous l’avons dit, ne regardait plus au péril. Il n’en était pas tout à fait ainsi autour de lui, et quand on apprit au Quirinal cette résolution inattendue du saint-père, l’émotion fut très vive. Si nous nous en rapportons à M. Alquier et à M. Lefebvre, que nous croyons avoir été dans cette occasion parfaitement informés, le saint-père avait énergiquement repoussé les pressantes remontrances des personnes qui d’ordinaire avaient le plus de part à sa confiance, et la secrétairerie d’état tout entière avait en vain cherché à faire obstacle à la volonté du souverain pontife. C’est qu’en effet la violence des mesures adoptées par l’empereur avait agi d’une façon très différente sur Pie VII et sur la très grande majorité des membres du sacré-collège. Chez le saint-père, l’indignation avait tout dominé. A coup sûr la rudesse du traitement infligé à leurs collègues avait beaucoup scandalisé les cardinaux romains; mais elle les avait en même temps considérablement alarmés, sinon sur leur propre sort, tout au moins sur celui qui attendait l’église, dont ils étaient les plus importans dignitaires. Combien s’annonçait terrible et périlleuse pour la religion la lutte engagée contre un homme qui dès le début recourait à de pareils excès! Les plus expérimentés des cardinaux, ceux-là surtout à qui l’âge faisait entrevoir avec effroi pour leurs vieux jours une période de troubles et d’épreuves, étaient d’accord pour penser qu’il y aurait une extrême imprudence à pousser à bout par une rupture éclatante un aussi puissant souverain que Napoléon. C’était également, on le devine sans peine, l’avis du cardinal Caprara. De plus en plus convaincu que c’était folie de vouloir résister à l’empereur, et qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre que de tout lui concéder pour s’assurer son indispensable bienveillance, le légat venait d’adresser de Paris de longues dépêches au cardinal Doria pour lui représenter avec force détails « qu’un système fédératif avec la France contre les Anglais ne serait en rien contraire aux devoirs du père commun des fidèles et aux traditions de la cour de Rome[1]. »

Ni les représentations de son entourage, ni les répugnances manifestées par la secrétairerie d’état, ne réussirent à dissuader Pie VII de prendre lui-même la plume pour envoyer au cardinal-légat l’ordre de son rappel. Il semble résulter de la teneur de sa lettre que le saint-père avait reçu avec grand déplaisir les conseils que Caprara avait jugé à propos de lui faire parvenir. Le soin avec lequel il insiste à plusieurs reprises sur la convenance d’un départ immédiat donne également à penser qu’instruit des véritables dispositions de son représentant à Paris Pie VII redoutait beaucoup que

  1. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Doria, 16 février 1808.