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son ministre à Rome était elle-même un signe des projets qu’il avait dès lors formés et sur lesquels sa pensée était irrévocablement fixée. Déjà, lorsqu’il avait voulu sévir une première fois contre le saint-père, il avait éprouvé une forte répugnance à laisser près de lui un personnage aussi considérable que son propre oncle, le cardinal Fesch. Il avait donc engagé ce grand dignitaire de l’église à revenir à Paris; il lui avait même recommandé, si par hasard il était obligé de rester à Rome, de laisser faire à Alquier (c’étaient ses propres expressions) tout ce qui serait odieux[1]. Aujourd’hui qu’il méditait de dépouiller entièrement Pie VII de sa souveraineté, et peut-être déjà de le faire un jour ou l’autre enlever de vive force du Vatican, il ne croyait pas davantage convenable pour M. Alquier, quoique simple ambassadeur laïque, d’assister de sa personne à la scène qui allait mettre fin à ce lugubre drame. C’était pour lui sauver cet ennui et cette honte qu’il l’avait autorisé à revenir en France. Avant de cesser ses fonctions diplomatiques, vers le milieu du mois de février 1808, le ministre de l’empereur, écrivant une dernière fois à M. de Champagny, se crut en conscience obligé de ne laisser à son gouvernement aucune illusion, s’il en gardait encore, sur les dispositions actuelles du saint-père. Les termes de cette dépêche, naturellement moins bienveillante pour Pie VII que ne l’était au fond celui qui l’adressait à Paris, étaient d’ailleurs parfaitement véridiques, et, sauf un peu d’exagération, rendaient un compte fort exact de ce qui se passait alors à Rome dans les conseils du gouvernement pontifical. « L’état d’irritation où se trouve aujourd’hui le saint-père est tel, disait M. Alquier, que je ne saurais trop répéter qu’il est capable de tous les éclats de la violence. Des cardinaux, effrayés des dangers dont la cour de Rome est menacée, ont vainement tenté d’adoucir sa résistance. Leurs représentations ont été repoussées avec l’opiniâtreté la plus désobligeante. Oserai-je le dire encore à votre excellence? cet homme n’est pas connu[2]. »


I.

Si, au lieu de ne rapporter à sa cour qu’une faible partie de la vérité, il avait osé tout lui dire, M. Alquier aurait pu nettement indiquer quelles circonstances précises et quels motifs particuliers avaient déterminé le changement inattendu qu’il signalait dans l’esprit du saint-père. S’il avait eu, comme son prédécesseur, M. Cacault, l’heureux privilège de parler en toute franchise et en toute

  1. Lettre de l’empereur au cardinal Fesch, 16 mai 1806.
  2. Extrait d’une lettre de M. Alquier du 14 février 1808.