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demment expédiés à Naples, c’était en tout vingt et un membres du sacré-collège enlevés en un mois à leurs fonctions ecclésiastiques. Le procédé était inoui et véritablement digne de l’homme qui, organisant en ce moment le guet-apens de Bayonne contre Charles IV et son fils, trouvait simple de confisquer par décret une couronne et de la poser, sans consulter l’Espagne, sur la tête de son frère aîné, Joseph, roi de Naples. A les considérer au point de vue religieux, ces mesures violentes, que d’un air si tranquille et comme chose toute naturelle l’empereur Napoléon venait de prescrire contre des membres du sacré-collège, étaient plus étranges encore et plus monstrueuses peut-être que la main mise sur Ferdinand VII et sa séquestration à Valançay. Il ne faut pas en effet l’oublier, non-seulement les cardinaux que Napoléon chassait des états pontificaux étaient les plus grands personnages de l’église, mais, comme membres du sacré-collège, Ils étaient les conseillers spirituels et les auxiliaires apostoliques du saint-père. Ils avaient tous des fonctions ecclésiastiques à remplir auprès du souverain pontife. Quelques-uns, comme le cardinal Valentini Gonsaga, évêque d’Albano, le cardinal Doria, évêque de Frascati, le cardinal Locatelli, évêque de Spoleta, avaient même charge d’âmes dans les provinces encore laissées sous la domination temporelle du pape. D’autres occupaient dans le gouvernement intérieur de l’église romaine des postes très importans. Le cardinal Carandini était préfet du concile, le cardinal délia Somaglia était vicaire de sa sainteté, et le cardinal Braschi-Onesti secrétaire des brefs du pape. Enfin il se trouvait par une rencontre bizarre que le propre secrétaire d’état de sa sainteté était lui-même atteint par la mesure. Ainsi que son prédécesseur Casoni, qui était né à Sarzane, le cardinal Doria Pamphili, parce qu’il était originaire de Gênes, recevait à l’improviste du ministre de France, avec qui la veille il traitait, l’ordre de quitter sur-le-champ ses bureaux du Vatican et d’aller, comme sujet de l’empereur, faire sa soumission officielle aux autorités de sa nouvelle patrie. En recourant à ces brutalités, l’empereur, quoi qu’il en pût dire, se voyait, au bout de quelques jours seulement, entraîné malgré lui à confondre de la façon la plus funeste les choses mêmes qu’au début de la querelle il s’était vainement flatté de pouvoir toujours séparer les unes des autres. En faisant sortir violemment de Rome tant de cardinaux. Napoléon ne battait pas seulement en brèche le pouvoir temporel du pape, envers qui maintenant il était décidé à ne plus garder aucun ménagement; il attaquait aussi de front le régime intérieur de cette grande église catholique pour laquelle, à cette époque de sa vie, il affectait de professer encore, chaque fois que l’occasion s’en présentait, les plus respectueux égards et un filial attachement.