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du traité de Tilsitt; mais l’empereur méconnaissait le caractère de Pie VII, et, ce qui était plus fâcheux de la part de ce grand esprit, d’ordinaire si sagace, il se méprenait absolument sur le fond même des choses, quand il supposait que, réduit aux mêmes extrémités, le chef de la foi catholique finirait par céder, comme naguère avaient dû céder les deux plus puissans monarques de l’Allemagne. Napoléon n’avait pas songé que derrière le prince temporel, matériellement si faible et dénué de toutes ressources, il s’exposait à rencontrer le pontife, armé par l’unanime adhésion de tous les membres de son église d’une puissance morale redoutable. Contre le vicaire du Christ invoquant de bonne foi les devoirs de sa mission religieuse, le recours à la force brutale risquait de devenir une mesure aussi inutile que dangereuse, et les menaces ne pouvaient avoir d’autre effet que de provoquer les sympathies secrètes non-seulement de l’Europe entière, mais d’une notable partie du public français en faveur de l’inoffensif vieillard qu’il plaisait maintenant à l’empereur de choisir pour adversaire et pour victime. Cette considération ne l’arrêta pas un instant. Soit qu’il n’ait point alors prévu les suites funestes de sa détermination, soit plutôt qu’enhardi par le sentiment de sa toute-puissance, par le spectacle de l’universel asservissement, il se soit tenu pour assuré de pouvoir toujours maîtriser l’opinion par le succès, Napoléon se précipita sans hésiter dans cette lutte nouvelle qui ne devait guère tarder à devenir beaucoup plus religieuse que politique, où le beau rôle ne lui était pas destiné, et dont, malgré l’inégalité apparente des forces mises en présence, la durée allait désormais se prolonger jusqu’à la fin de son règne.

Une fois décidé à traiter le saint-père en ennemi, l’empereur recourut tout d’abord à ses procédés de guerre accoutumés. Multiplier les agressions, les rendre à chaque fois plus formidables, ne laisser à son adversaire ni trêve ni repos, telle avait toujours été la tactique de Napoléon dans ses campagnes militaires; il n’en suivit pas d’autre dans sa querelle avec le saint-siège. Le 3 février 1808, c’est-à-dire le jour même où d’après ses calculs, un peu devancés par l’événement, ses troupes avaient dû prendre possession de Rome et du fort Saint-Ange, M. de Champagny adressa de sa part une sommation péremptoire au cardinal de Bayanne. Maintenant que des paroles on avait passé à l’action, il ne s’agissait plus d’user d’aucun ménagement. Le ministre des relations étrangères était donc chargé de déclarer nettement au négociateur de sa sainteté « que les soldats français présentement établis à Rome y resteraient jusqu’à ce que le pape fût entré dans la confédération italienne, et qu’il eût consenti à faire, dans tous les cas et contre qui que ce soit, cause commune avec les puissances qui la composent. Cette condition était le sine qua non des propositions de sa majesté.