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consiste à placer les claies d’œufs entre deux eaux dans un ruisseau ou fossé de 2 mètres de large, creusé en forme de cuvette et tapissé d’une épaisse couche de cailloux roulés. À peine éclos, les jeunes poissons quittent spontanément la claie, et se tiennent au fond jusqu’à ce qu’ils soient en état de se tirer d’affaire. On évite ainsi des manipulations et des transports toujours dangereux.

Quant à obtenir chez nous des pêches comparables à celles de l’Écosse et de l’Irlande, il n’y faut pas songer tant que la législation ne sera pas absolument modifiée. Ce n’est ni en créant à grands frais des établissemens comme celui de Huningue, ni en transférant d’une administration à l’autre la surveillance de la pêche qu’on atteindra ce but ; c’est en intéressant les pêcheurs eux-mêmes à la production du poisson. En Irlande et en Écosse, la pêche d’un cours d’eau appartient dans toute l’étendue du bassin qu’il arrose à un ou à plusieurs propriétaires réunis en syndicat pour l’exploiter en commun. Depuis l’embouchure jusqu’à la source, ils sont maîtres de la rivière, et, sauf les règlemens généraux auxquels ils sont soumis, ils restent absolument libres d’agir comme ils l’entendent. Chez nous au contraire, nous voyons d’abord la marine s’emparer de toute la partie du cours d’eau où l’action du flux et du reflux se fait sentir et en réserver la pêche aux marins inscrits. Au-delà de ces limites et dans toute l’étendue où elle est reconnue flottable et navigable, la rivière, considérée comme propriété publique, est louée par petites portions au profit de l’état à des fermiers qui, loin d’avoir intérêt à ménager le poisson, sont au contraire poussés à en prendre le plus qu’ils peuvent afin d’en laisser le moins possible à leurs voisins. Enfin, lorsque le cours d’eau cesse d’être navigable, la pêche en appartient de droit aux propriétaires riverains ; mais, comme la loi leur interdit la faculté de placer des grils ou barrages destinés à intercepter la circulation du poisson, aucun d’eux, ne voulant s’imposer des sacrifices dont il ne serait pas seul à profiter, ne s’occupe d’établir des frayères ou d’exercer personnellement une certaine surveillance. Il résulte de cette législation bigarrée, qui, pour ménager tous les droits, les méconnaît tous, que personne n’est directement intéressé à la multiplication du poisson, et que par suite personne ne se sent suffisamment lésé pour réagir contre les causes de destruction qui peuvent se produire. C’est ainsi qu’on voit souvent un cours d’eau dépeuplé dans sa plus grande partie par les résidus délétères des usines ou par l’introduction de substances toxiques, telles que la chaux ou la coque du Levant, sans qu’aucun riverain se croie en droit de poursuivre les coupables.

Quant à l’action publique, nous la considérons comme plus nuisible qu’utile, qu’elle soit exercée par les agens de l’administration