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bouées de liège ou de verre creux ; on les tend vers midi, et on les relève le lendemain ; chaque bac donne environ de 40 à 60 morues par jour. La pêche la plus productive est celle des filets, qui, formés de mailles de 8 ou 9 centimètres entre les nœuds, sont munis de poids à la partie inférieure et fixés par la partie supérieure à une corde garnie de flottes en verre, de façon qu’ils se tiennent verticalement sur le passage des poissons. Ceux-ci, en avançant, s’engagent dans les mailles, et, une fois pris, ne peuvent se dégager à cause de leurs ouïes, qui s’opposent à ce qu’ils reviennent en arrière, et de leurs nageoires, qui les empêchent d’avancer. Le matin, les filets sont relevés, et, si la nuit a été favorable, chaque tessure ou réunion de 20 filets tendus ensemble donne de 500 à 600 pièces. Ce genre de pêche produit par bateau environ 12,000 morues, représentant une valeur de 3,500 francs ; c’est à peu près 600 francs par homme pour les 3 mois que dure la campagne. Si, au lieu d’être fait à frais communs, l’armement est au compte de l’un des marins, les hommes qu’il emploie ne touchent guère que 120 francs pour la saison, outre l’habillement et la nourriture.

La préparation de la morue n’est pas une petite affaire, et la qualité dépend beaucoup des soins qu’on lui donne. La supériorité des produits norvégiens est incontestable sous ce rapport. La première opération consiste à couper la tête des morues et à leur enlever le foie et les rogues, c’est-à-dire les œufs. Les têtes se vendent aux fabriques de guano établies aux Lofoden, les foies servent à la fabrication de l’huile médicinale ; quant aux rogues, elles sont salées et placées dans des barils percés de trous, puis expédiées en France et en Espagne, où elles sont employées comme appât pour la pêche de la sardine. Ces rogues sont l’objet d’un commerce très important, puisque la France en 1864 n’en a pas fait venir moins de 31,000 barils valant en moyenne 75 francs l’un. Débarrassées des têtes et des entrailles, les morues sont liées deux à deux par la queue au moyen d’une ficelle et placées à cheval sur des perches posées horizontalement dans des hangars ouverts. La morue reste dans cet état jusqu’à la mi-juin, époque à laquelle elle est suffisamment sèche pour être transportée à Bergen, qui est le centre principal de tout ce commerce ; c’est là ce qu’on appelle le stockfish.

Toutes les morues ne sont pas préparées de cette façon, et une certaine quantité est convertie en klipfish ou morue salée. Cette opération se fait ordinairement à bord de petits yachts ou sloops de 50 à 80 tonneaux, qui viennent, au nombre de 800 ou 1,000, acheter sur les lieux les produits de la pêche. On commence par flaquer les poissons, c’est-à-dire par les ouvrir jusqu’à la queue, afin de les