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bien maussades que n’est venu percer aucun éclair de talent. L’éclat du présent, qui sera l’admiration de l’avenir, est tout dans les discours de l’opposition. Celle-ci vient d’écrire une lumineuse page de l’histoire parlementaire ; elle éclaire l’intérieur, elle nous fait honneur devant les nations étrangères. Elle a été infatigable, et, quoique bien peu forte par le nombre, elle a été souveraine par le talent. MM. Jules Simon, Picard, Pelletan, ont été à chaque instant sur la brèche. M. Thiers s’est lancé dans la mêlée avec son art ordinaire et une impétuosité de jeune homme. M. Émile Ollivier a rendu témoignage des promesses du 19 janvier, dont il avait été le premier confident. M. Jules Favre a grandi de discours en discours. Haut et sévère dans les idées, empruntant aux principes leur inflexibilité et leur calme, conciliant et poli envers les personnes, jamais las de la discussion, il s’est surpassé lui-même dans l’atticisme de son harmonieux langage. Les membres de la majorité ou du tiers-parti, tels que M. Segris et M. Latour-Dumoulin, qui ont fait effort pour améliorer la loi, ont mérité d’être remarqués. Du côté du pouvoir, M. Baroche a montré ses talens de juriste et s’est tenu sur le ton de la conciliation ; mais le premier est M. Rouher, qui, par son discours ému et nerveux, a mis fin à la crise réactionnaire, a proclamé la marche en avant, et a eu l’honneur de réunir, ce qui était sans exemple sous ce règne, la majorité et l’opposition dans le même vote.

L’espace, quoique très vivement contesté, va donc, selon toute vraisemblance, s’élargir dans la politique intérieure. Nous espérons que les personnes qui ont en France la responsabilité et le pouvoir ne tarderont point à s’apercevoir qu’il est nécessaire d’établir dans les institutions un équilibre plus parfait, un système plus harmonique. On ne saurait pour le moment hasarder sur ce sujet que de vagues insinuations. Il est cependant manifeste que, depuis que les ministres vont tous aux chambres, la position du pouvoir exécutif vis-à-vis du pouvoir législatif n’est plus ce qu’elle était lorsque ce pouvoir n’était représenté dans la chambre que par le conseil d’état ou même par les simples ministres de la parole. Au point de vue pratique, la constitution a donc marché depuis 1852, et le moment approche où les théories devront être mises d’accord avec les réalités. Ce qui est singulier, c’est que l’obstacle au progrès constitutionnel est indiqué par l’influence même qu’a acquise la majorité parlementaire, mise en contact plus direct et plus fréquent avec le pouvoir ministériel. Cette majorité paraît être moins libérale que le gouvernement, et l’on a pu redouter, il y a quinze jours, d’être placé devant une nouvelle chambre introuvable. Il y a de curieuses analogies de situation et de noms propres. Au moment où la majorité actuelle était en train de prendre des allures semblables à celles de la chambre de 1815, qui fatiguèrent le sage Louis XVIII et lui firent rendre, sur le conseil de M. Decazes, l’ordonnance du 5 septembre, où le roi en appelait de sa