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diplomatie. On a publié récemment une partie de sa correspondance avec Hennings, beau-frère de son frère. Celui-ci, quelque admiration qu’il ressentît pour le talent de Lessing, blâmait sévèrement sa conduite. « Tous les déguisemens me sont odieux, écrivait-il ; ils me gâtent les plus nobles visages. Lessing a fait pis que de prendre un masque, il fait le politique ; il ne se contente pas de se travestir, il en impose. » Dans ses réponses, où se révèle un ferme jugement et une remarquable noblesse d’âme, Élisa concède qu’en principe Hennings a raison ; en toute chose, elle tient pour la parfaite droiture et pour le droit chemin. Si elle n’avait craint d’inquiéter certaines personnes dont le repos lui est cher (elle entend surtout par là son frère, le docteur Reimarus), elle aurait depuis longtemps dévoilé le mystère du manuscrit. « Quel plus grand service, dit-elle, pouvons-nous rendre à la religion que de prouver au monde par notre exemple que hors du christianisme il y a d’aussi bonnes âmes et même de meilleures que dans le sein de l’église ? » Mais elle comprend bien mieux que Hennings les motifs qui ont déterminé Lessing. Elle aussi tient la nouvelle théologie pour plus dangereuse que l’ancienne. « On assure que toute la faculté de théologie du nouveau style se dispose à entrer en campagne. C’est en vérité une secte extravagante avec sa manie de vouloir tout concilier ; j’aimerais mieux appartenir à la toute vieille école et adorer Goetze. Le pis est que ces gens-là vont jeter une digue qui sera d’autant plus solide qu’ils ont délayé dans leur auge quelques grains de raison avec leurs absurdités. » Elle représente à Hennings que, si Lessing s’était contenté de publier le manuscrit sans commentaire, toute la faculté noire aurait crié haro sur le monstre ; en brouillant les cartes, Lessing a déconcerté, divisé l’ennemi. « S’il a pris un masque, ce n’est pas qu’il ait craint de se brouiller avec personne ; mais il a cru qu’à la faveur de ce masque il ferait davantage pour la bonne cause… Toute l’Allemagne a, dit-on, les yeux attachés sur les deux combattans. A Hambourg, la haine qu’inspire Goetze fait plus pour la vérité que la vérité même. Tel homme qui serait mort pour l’inspiration absolue comme pour un article de foi croit maintenant pouvoir se sauver quand tout dans la Bible serait de main d’homme. Sapons le mur, et la forteresse finira par se rendre. Telle paraît être la devise de Lessing, et, bien que je ne sois pas toujours contente de son ton, nous devons lui passer sa manière. » Ce qu’il faudrait ajouter à ce jugement d’Élisa Reimarus, c’est qu’en cherchant des argumens Lessing avait trouvé des vérités. Ses thèses de circonstance furent reprises après lui par une école qui n’en discernait pas comme lui les conséquences ; ses vues sur les origines du christianisme ont été précieusement