Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/1009

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dramatiques me semblent insipides : tu recevras ces jours-ci un écrit de moi contre Goetze, dans lequel je prends une position telle qu’il ne pourra m’accuser de n’être pas chrétien. » Et peu de temps après : « Considère que je dois regarder à l’ennemi en pointant mes canons, et qu’il ne faut pas chercher une profession de foi dans ce que j’écris pour les besoins de la cause. » Cependant les dénonciations de Goetze, ses appels au bras séculier, avaient porté coup. « Il est vrai, écrivait Lessing le 23 juillet de la même année, que le ministère de Brunswick, à la requête du consistoire, a mis l’embargo sur le nouveau fragment que j’ai publié et sur tous mes factums contre Goetze, et qu’il m’a intimé l’ordre de ne plus imprimer un mot du manuscrit. J’ai mes raisons pour prendre mon parti de la confiscation du nouveau fragment ; mais je n’entends pas qu’on saisisse en même temps mes écrits. Je m’en vais distribuer à droite et à gauche de vigoureux coups de dents, fermement résolu à laisser arriver les choses aux extrémités et à prendre mon congé plutôt que de me soumettre à une telle humiliation. Le corpus evangelicum n’a pas donné signe de vie, le conseil aulique non plus… Tu vas rire, mais je possède un moyen sûr de diviser le conseil aulique et de jeter la discorde dans son sein ; Paul sut diviser le sanhédrin. La majorité du conseil est catholique ; je saurai présenter mon affaire de telle sorte que dans la condamnation prononcée contre moi par le clergé luthérien soit incluse celle de tous les papistes, lesquels n’entendent pas plus que moi fonder la religion sur les Écritures. » Au mois d’août, dans une lettre adressée à la fille du fragmentiste, Élisa Reimarus : « Je suis livré à moi-même. Je n’ai pas un ami avec qui je puisse m’épancher en confidence. Mille ennuis m’assaillent chaque jour. Je dois payer cher la seule année qu’il m’ait été donné de passer avec une femme raisonnable. Ah ! s’il savait, mon misérable ennemi, combien je suis plus malheureux que lui, et ce qu’il m’en coûte de tenir ici jusqu’au bout pour lui faire pièce ! Toutefois je suis trop fier pour me croire malheureux, je grince des dents, et je laisse voguer la nacelle comme la poussent le vent et les vagues. C’est assez que je ne la fasse pas chavirer d’un coup de pied… Je me réjouis de ce que vous comprenez si bien la tactique de ma dernière réponse. Je me dispose à faire à la barbe de notre homme des évolutions dont il ne se doute point. Puisqu’il a commis la balourdise de me demander, non ce que j’admets de la religion chrétienne, mais ce que j’entends par la religion chrétienne, j’ai cause gagnée, et je me donnerai le plaisir de défendre une moitié de la chrétienté contre l’autre. »

Ce que dit Lessing en cet endroit de la prétendue balourdise de Goetze n’est pas rigoureusement exact. Après avoir beaucoup