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Comment éclata la querelle ? En 1768 mourut à Hambourg un savant professeur nommé Samuel Reimarus. La famille trouva dans ses papiers un manuscrit intitulé Apologie pour les adorateurs de Dieu selon la raison. Cette apologie était un réquisitoire contre le christianisme. Partisan de la religion naturelle, Reimarus niait l’inspiration divine des Écritures, les prophéties et les miracles ; mais point de railleries, un ton grave, austère, une remarquable vigueur de raisonnement. Une copie du manuscrit fut remise à Lessing ; il examina le brûlot, en fut charmé, vit sur-le-champ tout le parti qu’on en pouvait tirer. Malgré les inquiétudes des enfans de Reimarus, il pensa d’abord à publier l’Apologie à Berlin ; mais, se ravisant, il l’emporta à Wolfenbüttel et la glissa parmi les manuscrits dont il avait la garde. Il y avait franchise de censure pour toutes les publications tirées de la bibliothèque ; Lessing profita de ce privilège pour publier sans nom d’auteur un premier fragment de l’Apologie, et plus tard cinq autres qui provoquèrent dans le monde théologique un effroyable vacarme. Il avait fait suivre ces fragmens d’une postface dans laquelle il déclinait toute solidarité d’opinions avec le fragmentiste, dont il feignait d’ignorer le nom ; mais il rendait hommage à son talent et mettait en quelque sorte tous les théologiens au défi de le réfuter. Du reste il plaçait la religion hors de cause. « Notre inconnu, disait-il, a dénombré toutes les contradictions qui se trouvent dans les récits que nous possédons de la résurrection du Christ. Supposé qu’il ait raison, cela ne doit point nous empêcher de croire que le Christ est ressuscité. Il en est de même de toutes les objections qui se peuvent faire contre la Bible. La lettre n’est pas l’esprit, et la Bible n’est pas la religion. Le christianisme existait avant que les évangélistes et les apôtres eussent écrit. Le religion n’est pas vraie parce que les apôtres et les évangélistes l’ont enseignée ; ils l’ont enseignée parce qu’elle est vraie. »

Je ne sais ce qui excita plus de scandale, les attaques du