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GUILLAUME TELL
PAGES D'HISTOIRE MUSICALE

Parmi tant de démentis qu’il a été donné au génie d’infliger à la critique, je ne crois pas qu’il en existe un plus superbe que la partition de Guillaume Tell. C’est d’une ironie colossale et charmante à la fois. Vous diriez le génie même de la musique se servant de l’intermédiaire de Rossini pour jouer aux aristarques de tous pays, aux jugeurs émérites, le tour le plus spirituel, le plus malin. De 1811 à 1832, de Tancredi à la Semiramide, au Siège de Corinthe, au Comte Ory, un grand musicien avait fait époque au théâtre ; sur cet homme, sur ses ouvrages, toutes les formules de l’enthousiasme et du dénigrement semblaient épuisées ; les partis, après avoir pris pour champ de bataille le terrain de son activité dévorante, s’étaient peu à peu modérés, et de tant de luttes passionnées, de panégyriques violens et d’attaques furieuses, une opinion, s’était dégagée, consentie de tous les bons esprits et paraissant définitive. Entre le « Hélios italien » d’Henri Heine et le « confiseur welche » de Weber commençait à se dessiner un Rossini vrai, ou que du moins on croyait tel : le mélodiste, le coloriste par excellence, l’enjôleur sans rival, ayant pour le tragique ainsi que pour le comique sa phraséologie qui lui est propre, et s’en servant dans ses ouvertures, dans ses finales, dans ses airs, ses duos, tous invariablement taillés sur la même coupe : l’allegro du début plus