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faisaient jouir plus particulièrement des bienfaits de la liberté de la presse. C’était donc aux classes les plus riches et les plus éclairées à marcher les premières au combat. Il me semble que, dans les trois journées, elles se sont tenues derrière le peuple. C’est le peuple qui a fait la révolution, le peuple plutôt que nous. Cependant c’était à nous à la faire plutôt qu’au peuple ; c’était à nous plutôt qu’au peuple que la guerre était déclarée. »

Visiblement Jacquemont attendait beaucoup de cette victoire populaire qui émancipait la France. Bientôt, à mesure que la suite des choses se déroulait et que de loin il voyait la révolution se régler, se discipliner, il n’était plus aussi satisfait intérieurement, et il en venait à craindre pour l’idéal qu’il s’était créé. « Je rêvais après cette grande victoire, disait-il, une ère nouvelle de probité politique, un ordre nouveau de relations entre les peuples, une éloquence nouvelle pour la tribune et pour la presse… Je faisais une utopie !… » À la place de tout cela, il voyait des choses qui l’inquiétaient, des luttes intimes et stériles, des disputes mesquines, des efforts pour diminuer la portée du victorieux mouvement des trois jours, des émeutes dans la rue. Au fond il était très combattu, plein de perplexités, car il avait autant de bon sens que de hardiesse d’esprit et d’énergie de cœur. Chaque courrier d’Europe le mettait dans un état nerveux. Tantôt il regrettait pour la France le rôle d’initiation libérale qu’on lui faisait perdre et se laissait pousser vers la possibilité d’une république prématurée par dégoût de ce qu’il appelait le mezzo termine ; tantôt la raison l’emportait, et il sentait que ses amis du mouvement allaient trop loin, qu’ils créaient sans profit des difficultés à un gouvernement qui, même quand il le voudrait, ne pouvait devenir despotique. Quelquefois, quand il contemplait de loin cette agitation de Paris, il se demandait ce qu’il pourrait y faire, quel serait son rôle. « Les nouvelles sont fort tristes, écrivait-il, elles sont même décourageantes. Il y a une anarchie complète d’opinions ; il y a haine, envie du pouvoir qui existe, et aussitôt qu’il fait place à un autre, le nouveau est odieux à son tour. Je doute de la stabilité des choses ; la plupart de mes amis sont du parti des enragés. Ils regrettent sans cesse que je ne ; sois pas là ; je ne sais ce qu’ils voudraient faire de moi, s’ils pouvaient faire quelque chose, mais le pouvoir n’est pas à eux ; sans doute ils l’espèrent prochainement ; mais je doute qu’ils le saisissent. Si je les y trouve à mon retour, peut-être leur demanderai-je de m’envoyer à Washington, s’il y a moyen de placer ailleurs notre ministre en Amérique. J’aimerais, à rester quatre ou cinq ans aux États-Unis pour parfaitement connaître le mécanisme de cette société singulière et de ses mœurs nationales, et en faire un tableau