— de Mozart, de Rossini, de peinture, de Mme de Staël, — de bonheur, de malheur, à ce sujet d’amour, de toutes choses enfin qui requièrent sinon de l’intimité, du moins bien de la confiance et de l’estime réciproque, surtout de la part d’une femme anglaise, religieuse et sévère, avec un homme jeune garçon et Français. Nous ne parlâmes jamais de choses insignifiantes… » C’est sous la protection de cette bienveillance si rapidement conquise et conservée jusqu’au bout que, pendant trois ans, Victor Jacquemont battait toutes les routes de l’Inde, poussant jusqu’à la Tartarie chinoise, jusque chez les tributaires ou les alliés de la puissance anglaise, laissant des amis un peu partout, passant des mois sans voir un visage européen, herborisant en chemin ou lisant sur son maigre bidet persan, et le soir, sous sa tente, écrivant sur toutes les variétés de papiers indiens ces lettres charmantes où il revit dans la vérité expressive de sa physionomie, au milieu des portraits et des scènes de mœurs dont il parsème ses pages.
Les portraits sont fins et piquans ; les scènes pittoresques sont vivement enlevées ; le voyageur donne à tout l’originalité de son esprit et de son humeur, et il y met tant d’aisance qu’en vérité on finit presque par oublier avec lui que ce n’est pas tout à fait une partie de plaisir. Ce ne sont pas les épisodes qui manquent dans cette odyssée aussi merveilleuse que dangereuse à travers des contrées où la puissance anglaise a fait bien des progrès depuis quarante ans, où bien des souverainetés locales ont disparu, et si je voulais montrer Victor Jacquemont dans la variété de ses aventures et de ses impressions ; je n’aurais qu’à choisir. Un des plus curieux de ces épisodes assurément est son voyage à Lahore et à Cachemire, l’histoire de ses relations avec ce potentat asiatique, cet aventurier couronné qui s’appelait Rundjet-Sing. Arrivé à la frontière de l’Inde anglaise, Jacquemont avait bonne envie d’aller plus loin, de visiter le Pundjâb, qu’il avait devant lui et dont Rundjet-Sing s’était fait roi, de pousser jusqu’aux mystérieuses régions de Cachemire ; mais il avait à surmonter tout à la fois les répugnances des autorités anglaises, qui n’aimaient guère ces sortes de voyages faits par des étrangers, et les répugnances de Rundjet-Sing lui-même, prince fort peu au courant des missions scientifiques, fort disposé à se défier de tout ce qui venait de chez ses terribles voisins les Anglais. Ce n’est pas sans diplomatie qu’il réussit. Il fut aidé surtout par le général Allard, cet officier français qui était passé dans l’Inde après l’empire, qui s’était mis au service du roi de Lahore et lui avait fait une armée à l’européenne. Les premiers soupçons dissipés, Rundjet-Sing fut enchanté ; il reçut Jacquemont comme un prince, sans trop savoir ce qu’il était, croyant voir en lui un homme doué de la science universelle.