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l’humanité. L’esprit, le goût de Jacquemont, échappaient ainsi à la tyrannie des philosophies subalternes, des systèmes faits pour rabaisser la race humaine en l’asservissant aux besoins faméliques du corps, et par là il revenait à ce spiritualisme qu’il raillait quelquefois comme ayant la prétention de remplacer les idées de l’autre siècle.

Ce que je disais de la philosophie au temps de la restauration, je pourrais le dire de la politique. Là aussi il y eut au sein du libéralisme deux courans qui au premier moment se confondaient, et qui n’étaient pas moins distincts. Dans le camp de l’opposition des quinze ans, il y avait deux genres de libéralisme, l’un s’abritant en quelque sorte sous la gloire de l’empire, évoquant sans cesse les souvenirs de cette époque d’écrasante et pompeuse grandeur, s’armant du sentiment national offensé en 1815, aussi bien que de tous les sentimens d’égalité mis en défiance par des velléités de réaction plus bruyantes que réellement dangereuses ; — l’autre, remontant plus haut, se rattachant de préférence aux traditions du premier essor révolutionnaire, caressant plus ou moins une idée de république et sans enthousiasme pour l’empire, qu’il ne comptait pas précisément comme un allié nécessaire dans une campagne poursuivie au nom de la liberté. Victor Jacquemont, jeune encore, était de ce dernier groupe par ses idées aussi bien que par ses relations avec Lafayette. Il n’était pas plus insensible qu’un autre aux désastres nationaux de 1815, mais il résistait absolument à la fascination de la gloire militaire. La gloire, à ses yeux, ne se sépare pas de la moralité des actions qui la donnent, et dès que cette moralité manque, dès que tout se réduit à une question de courage matériel, de périls à braver, il n’y a plus, selon lui, une grande différence entre les victorieux ravageurs de peuples et les malfaiteurs en guerre avec les gendarmes. Il trouve « fort vulgaire la gloire telle que le vulgaire la comprend, la gloire brillante, éclatante, sans que ce soit nécessairement par la moralité ou même par l’esprit. » C’était un jeune philosophe très libre quelquefois, très irrévérencieux pour les grandeurs de ce monde.

Le fait est que, soit par tradition de famille, soit sous l’influence d’un sentiment exalté de la moralité en politique, Victor Jacquemont apparaît dans cette époque de la restauration comme un des jeunes libéraux peu nombreux qui refusaient de subir la dictature des souvenirs napoléoniens. La légende de Sainte-Hélène ne l’éblouissait pas, et il prenait pour l’expression de sa propre pensée ces mots de l’Américain Channing au sujet de l’empereur : « il avait agi toute sa vie en dehors de toute loi, il s’était mis lui-même au-dessus des lois, aucune d’elles n’avait à le protéger. » Victor