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trouvant de plus en contact avec le monde moderne, finiront par comprendre un peu mieux le titre de républicains qu’ils se sont donné lors de leur séparation du grand empire colonial de l’Espagne. Il est seulement à craindre que la gloire militaire, ajoutée au prestige qu’a toujours eu le président ou supremo aux yeux de ce peuple enfant, ne transforme pour eux le maréchal Lopez en une sorte de demi-dieu. S’il réussit à terminer triomphalement la guerre actuelle, et que sa victoire fasse de lui l’arbitre des destinées de la Plata, les soldats qui l’ont aidé à défendre le sol du Paraguay le suivront peut-être en conquérans sur les terres de leurs voisins. Il y a là un sérieux danger pour l’équilibre des nations platéennes ; mais ce danger, ces nations l’ont elles-mêmes créé par leur traité funeste avec l’empire du Brésil.

Si le peuple paraguayen s’est dressé comme un seul homme en face de l’étranger, on ne voit au contraire que troubles et dissensions dans les deux républiques de la Plata et de la Bande-Orientale. Après la révolte des provinces de Cordova, de San-Luis, de Mendoza, les districts andins du nord-ouest se sont soulevés à leur tour, les uns pour se rendre indépendans de Buenos-Ayres, les autres pour n’avoir à prendre aucune part à la guerre contre le Paraguay. À ces mouvemens locaux sont venues s’ajouter, paraît-il, bien des expéditions de pillage. D’anciens chefs de bande exilés du territoire argentin ont reparu tout à coup pour mettre les villes à contribution et saccager les estancias ; des mineurs accourus du versant chilien des Andes viennent prendre leur part du butin, puis à la première alerte franchissent de nouveau la montagne pour se mettre en sûreté. Sur la lisière méridionale de la partie cultivée des pampas, les Indiens sauvages ont aussi multiplié leurs incursions, et même un jour les employés du chemin de fer du Grand-Central ont dû s’enfermer en toute hâte dans les bâtimens d’une station afin d’éviter d’être capturés au lasso. Dans les îles boisées du Parana, comme jadis sur les côtes inhospitalières de l’Océan, se sont installés des naufrageurs qui s’emparent des embarcations isolées et s’attaquent même aux grands navires échoués sur les bancs de sable, Enfin le colonel Aparicio vient de franchir l’Uruguay et de pénétrer dans la Bande-Orientale à la tête de quelques gauchos ; mais on ne sait encore s’il commande une simple expédition de pillage ou s’il vient se mettre à la tête d’une sérieuse révolution contre Florès, le proconsul brésilien. Quant aux dissensions intestines qui ne dégénèrent pas en lutte ouverte, elles se produisent sur tant de points à la fois et à propos d’un si grand nombre de questions, qu’il serait bien difficile d’en raconter l’histoire. Sauf dans l’Entre-Rios, que l’on pourrait considérer comme