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leurs contingens d’hommes destinés à ne jamais revenir. On accusa les ministres d’ineptie et les généraux de lâcheté, on dénonça les Argentins comme des traîtres bien plus redoutables encore que de loyaux ennemis ; on demanda que les troupes impériales, au lieu d’obéir au président Mitre, ce mauvais génie de l’expédition, se retournassent contre lui, afin de ne point revenir du Paraguay sans coup frapper. Il n’y a d’ailleurs point à s’étonner de ces récriminations des Brésiliens contre leurs alliés, car c’est l’empire qui a dû porter presque toutes les charges de la guerre, et les avantages de la paix doivent surtout profiter à la république argentine. Dans les pourparlers non officiels qui eurent lieu par l’entremise de M. Gould, le président Lopez, maintenant l’attitude qu’il avait prise à Yataiti-Cora, s’était montré, dit-on, très exigeant envers le Brésil et disposé aux plus larges concessions à l’égard des états républicains. Tandis qu’il demandait à l’empire la cession du territoire conquis dans le Matto-Grosso et l’évacuation immédiate de la Bande-Orientale, il avait exprimé le vœu de s’entendre à l’amiable avec le président Mitre sur toutes les questions litigieuses entre le Paraguay et les provinces de la Plata.

En dépit de la haine qui sépare les deux peuples et des sourdes rancunes qui s’amassent entre les deux gouvernemens de Rio-de-Janeiro et de Buenos-Ayres, le traité d’alliance subsiste, et par conséquent la guerre continue, plus hideuse peut-être que par le passé. Il ne s’agit plus aujourd’hui de préparer de grands mouvemens stratégiques et de lutter en batailles rangées : les combats qui se livrent dans les bois, dans les marais, au bord des ruisseaux, n’ont d’autre but que de couper les lignes d’approvisionnemens et de saisir les convois. Un troupeau de bestiaux effarés, une rangée de charrettes pleines de maïs ou de farine, tels sont les prix de chaque escarmouche, de chaque tuerie : les deux armées se battent encore plus pour la nourriture que pour la gloire. Dans une de ces expéditions de fortune les Brésiliens ont eu la chance d’atteindre la rive gauche du fleuve Paraguay et de conquérir momentanément la petite ville del Pilar ; le général Andrada Neves fut même nommé baron « du Triomphe » en récompense de ce haut fait d’armes ; mais bientôt le canon de deux bateaux à vapeur vint précipiter sa retraite, à laquelle le manque de vivres l’eût forcé tôt ou tard. D’ordinaire ce sont les Paraguayens qui ont le privilège de l’attaque, grâce à leur connaissance du pays et à la série de remparts et de fossés d’où ils peuvent s’élancer à l’improviste sur les colonnes en marche, Le 24 septembre, ils ont réussi, par une de ces apparitions soudaines, à s’emparer de la route directe qui relie le camp de Tuyuti à celui de Tuyucué : un engagement très meurtrier eut lieu sur les