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supplémentaires armées d’une artillerie puissante ; il fit immerger de nouvelles torpilles en diverses parties du chenal. Jour et nuit, le méandre du fleuve qui se déroule devant Curupaity est couvert d’embarcations et de radeaux qui se hasardent sans danger entre les deux flottes brésiliennes ; jour et nuit, les affûts et les chars emplis de munitions encombrent le chemin qui rejoint la forteresse d’Humayta aux redoutes avancées. D’après les rapports officiels du mois de septembre, 130 grosses pièces d’artillerie défendent maintenant ce défilé du fleuve, qu’une vingtaine de canons avaient déjà rendu si périlleux pendant la journée du 15 août. Pour garder ses communications avec le reste de la flotte et son gouvernement, l’amiral bloqué a dû faire ouvrir un sentier à travers les épais fourrés et les marécages de la rive droite du Paraguay. Une garde de 2,000 hommes, détachée de l’armée principale, protège le chemin contre les attaques des maraudeurs ; mais ceux-ci sont en si grand nombre, que les dépêches ont été fréquemment interceptées. D’ailleurs le sol de cette partie du Gran-Chaco est tellement bas et spongieux qu’on ne peut guère se servir du sentier que pour le transport d’objets d’un faible poids : la location d’une charrette pour ce trajet d’une dizaine de kilomètres ne coûte pas moins de 80 piastres fortes[1], et la tonne de combustible revient, dit-on, à 1,750 francs. La flotte ne se ravitaille qu’à grand’peine, elle épuise ses munitions sans pouvoir les remplacer, et ne peut même réparer ses avaries ; les matelots désertent en foule pour ne pas être mis à la ration de disette ou pour échapper à l’ennui de leur captivité. Que va devenir cette flotte ainsi enfermée dans une impasse ? Tentera-t-elle de se glisser de nouveau sous la formidable rangée des canons ennemis, au risque de sombrer tout entière dans ce dangereux voyage, ou bien sera-t-elle abandonnée comme un poste intenable par ses propres équipages ? Après avoir été longtemps la gloire et l’espoir du Brésil, est-elle destinée à porter un jour en vue de Rio-de-Janeiro le pavillon du Paraguay ? On dit qu’après le passage des navires cuirassés devant Curupaity, le maréchal Lopez félicita son armée par un ordre du jour. « Enfin, s’écriait-il, nos vœux sont accomplis ! La flotte brésilienne est prisonnière. Il y a deux ans, au commencement de la guerre, nous avions tenté d’enfermer les vaisseaux ennemis entre Corrientes et les batteries de Cuevas, et maintenant ils viennent se placer d’eux-mêmes entre les deux forteresses d’Humayta et de Curupaity ! »

  1. Ce chiffre est donné par le Standard and River Plate News du 4 septembre 1867.