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II.

Après la disparition complète du choléra et la fin de l’inondation, le marquis de Caxias, qui pendant l’absence du général Mitre commandait en chef les troupes alliées, put donner tous ses soins à la réorganisation de l’armée et préparer de nouvelles opérations de guerre. Durant toute la période d’inaction à laquelle avaient été condamnées les forces brésiliennes, le gouvernement de Rio-de-Janeiro s’était occupé d’expédier des renforts et d’accumuler dans les entrepôts de La Plata les approvisionnemens et les munitions. Les « volontaires de la patrie » ne se présentant plus qu’en très petit nombre, il avait fallu avoir recours à d’autres moyens que les appels et les proclamations pour remplir les cadres de l’armée : ainsi que l’a dit le sénateur Paranhos dans la séance du 9 septembre 1867, ce n’est point par un recrutement régulier, c’est bien par une véritable « chasse à l’homme » que l’on a dû trouver la quantité de chair à canon nécessaire à la dignité de l’empire. Les gardes nationaux désignés qui ne se rendaient pas immédiatement à l’invitation des gouverneurs de provinces étaient traqués dans les bois, puis enchaînés et conduits aux ports d’embarquement comme des criminels ; , les gens sans aveu, les ivrognes errans, étrangers ou nationaux, les prolétaires blancs ou noirs qui n’avaient point de protecteurs haut placés, étaient saisis et jetés dans les prisons servant de casernes aux recrues ; les électeurs indépendans que redoutaient les candidats ministériels disparaissaient tout à coup, et quand on entendait de nouveau parler d’eux, ils se trouvaient sur la flotte ou dans les camps marécageux des bords du Parana.

Cependant ces honteux moyens de recrutement ne suffisaient point. En dépit de l’éloquence officielle qui ne manque jamais de célébrer en termes pompeux le patriotisme sublime des citoyens, les esclaves ont dû combler dans l’armée les vides que ne venaient pas remplir les volontaires. A la date du 26 avril 1867, suivant le rapport du ministre Paranagua, 1,710 esclaves avaient été livrés aux officiers recruteurs : il est vrai que, pour leur faire apprécier la gloire d’aller se faire tuer au Paraguay, on leur avait accordé le titre de Brésiliens et la liberté de leurs femmes ; mais la loi n’avait pas affranchi leurs enfans. Sur le nombre de ces soldats improvisés, 344 avaient été la propriété de l’état ou de la couronne, 75 étaient une dîme offerte en contribution de guerre par divers couvens de bénédictins et de carmélites, 524 remplaçaient des gardes nationaux désignés pour le service, et 770 seulement avaient été offerts