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peu de jours après le maréchal Lopez faisait une démarche inattendue en faveur de la réconciliation. Le 4 septembre, un parlementaire portant le drapeau blanc sortit des lignes de Curupaity pour inviter le général Mitre à une entrevue personnelle avec le président du Paraguay. Quel était le motif réel d’une pareille demande, venant d’un homme qui jusqu’alors s’était défendu avec un tel acharnement ? On crut d’abord que, se sentant perdu, il voulait se ménager une capitulation honorable, et, malgré les conseils du maréchal brésilien Polydoro, le président Mitre, commandant en chef des alliés, consentit à l’entrevue. Elle eut lieu le lendemain, à moitié chemin des deux quartiers-généraux de Tuyuti et de Paso-Pucu, dans les bosquets de palmiers de Yataiti-Cora. Les deux présidens, suivis de loin par leurs états-majors, s’avancèrent au-devant l’un de l’autre avec beaucoup de gravité, des deux parts la courtoisie du langage et des manières fut parfaite, et le général Mitre crut devoir s’en féliciter dans sa dépêche officielle adressée au vice-président de la république argentine ; mais le seul résultat des paroles échangées avec tant de pompe et de bonne grâce fut que les armées continueraient à s’entr’égorger. D’après les divers renseignemens obtenus depuis sur la conversation des deux généraux en chef, il parait que Lopez s’attacha surtout à démontrer combien est funeste et déplorable pour la république de Buenos-Ayres cette alliance conclue avec l’empire esclavagiste du Brésil contre une république sœur ayant la même origine, la même histoire, les mêmes intérêts. Il parla du scandale auquel cette alliance avait à si bon droit donné lieu dans tout le Nouveau-Monde, et rappela la protestation solennelle que le Pérou venait de lancer au nom de la plupart des républiques hispano-américaines. D’ailleurs il se déclarait prêt à faire aux Argentins toutes les concessions compatibles avec l’honneur du Paraguay, pourvu que l’alliance avec le Brésil fût rompue. À ce prix, il se chargeait d’être le champion de toute l’Amérique espagnole et de triompher à lui seul de l’ennemi héréditaire. Sans doute le général Mitre dut comprendre cette vérité si facile à saisir, qu’en s’alliant pour une guerre de conquête avec l’empire brésilien il avait trahi les intérêts de toutes les républiques américaines ; mais il resta sur la défensive en alléguant les termes du traité de la triple alliance, et déclara que la paix ne serait point conclue tant que le Paraguay n’aurait pas été vaincu et son président exilé.

L’espoir que l’on avait conçu de voir enfin se terminer la lutte était donc mis à néant, et les hostilités recommencèrent. Se croyant d’autant plus forts qu’ils venaient de repousser une proposition de paix, les alliés résolurent de frapper un grand coup ; mais