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sociales. Son existence comme unité nationale est en danger, et il ne serait pas impossible qu’après la guerre actuelle le rétablissement de l’équilibre dans les états du continent s’opérât au détriment de l’empire esclavagiste. Il importe donc d’étudier avec soin et d’exposer clairement les principaux, événemens d’une guerre dont les conséquences peuvent avoir une telle gravité.


I

Après que l’armée de terre, arrêtée dans les marais de Tuyuti, eut vainement essayé de s’ouvrir de vive force un chemin vers l’Assomption, c’était au tour de l’escadre de faire la même tentative. Les trois chefs des alliés, Mitre, Florès et Polydoro, tinrent conseil avec l’amiral Tamandaré, et décidèrent que la flotte aurait à forcer le passage du Paraguay et à bombarder les redoutes de l’ennemi, tandis que les troupes de débarquement monteraient à l’assaut. D’après les reconnaissances préliminaires, on croyait que les batteries de Curupaity, situées en aval d’Humayta sur la berge concave d’une anse de la rive gauche, étaient de ce côté les premiers travaux de défense ; mais quelques navires brésiliens qui remontaient sans crainte le courant dans la direction de Curupaity furent brusquement salués à coups de canon par une nouvelle batterie qu’un rideau d’arbres leur avait cachée jusqu’alors. C’était la batterie de Curuzu, premier obstacle qui devait être dépassé avant qu’on essayât d’aborder les ouvrages plus formidables de Curupaity. Le 1er septembre 1866, tous les préparatifs de l’attaque étaient terminés, et le lendemain une force de 8,300 hommes débarquait en aval de Curuzu, protégée par le feu que les onze navires de l’escadre faisaient converger sur les défenseurs de la redoute. Ceux-ci au nombre d’environ 2,000, et disposant d’une douzaine de pièces de divers calibres, avaient à la fois à répondre au bombardement de la flotte, à résister aux assauts combinés des colonnes d’infanterie, à garder leurs flancs contre les surprises des cavaliers ennemie ; cependant ils purent tenir jusque dans la journée du 3, et, quand ils abandonnèrent le fortin, ils sauvèrent encore trois canons. Les alliés restaient maîtres de la position ; mais ce triomphe avait été chèrement acheté : un millier des assaillans étaient tués ou blessés, un navire cuirassé, le Rio-de-Janeiro, avait sombré dans le fleuve, et deux autres vaisseaux avaient été mis hors de service.

La prise de la redoute de Curuzu fut considérée à Buenos-Ayres et à Rio-de-Janeiro comme un grand triomphe, d’autant plus que