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Monde ne sera pas à l’abri de secousses politiques et peut-être de secousses violentes, le pire effet d’un mauvais régime étant qu’il n’est guère possible de s’en délivrer par les moyens de douceur. Les sociétés humaines continueront à se transformer à l’infini, et nous sentons bien que de profonds changemens, des nouveautés que nous soupçonnons à peine, s’élaborent aujourd’hui dans leur sein. On peut affirmer toutefois que ces changemens, quels qu’ils soient, ne s’effectueront point par une réaction soudaine et convulsive d’un peuple sur lui-même comme celle qui caractérise la révolution française ; on ne verra plus l’axe d’une société osciller tout à coup et changer en un jour. Lorsque les institutions, reposant sur une base religieuse, participaient de l’immutabilité propre à tout ce qui affecte une origine divine, comment les changemens qu’on ne pouvait empêcher de se produire dans les esprits, dans les sentimens, dans les besoins, auraient-ils introduit dans les choses des modifications correspondantes autrement que par voie de rupture et d’écroulement ? Plus les institutions avaient duré, plus leur origine était sacrée, plus leur ascendant sur les hommes était grand, et plus aussi pour les renverser le choc devait être soudain et terrible. Il n’y a plus aujourd’hui que des institutions humaines, c’est-à-dire soumises à la discussion et au changement. Dépendantes de l’esprit public, elles doivent se modifier, elles se modifient en effet par lui et avec lui, sans qu’il appartienne désormais à un homme, à un parti, à un pouvoir, quel qu’il soit, monarchique ou républicain, à une tête ou à mille têtes, mais armé d’une autorité simplement relative et par conséquent faillible, de sauver la société en se chargeant d’y faire régner violemment l’ordre et la justice. Désormais les sociétés se sauveront elles-mêmes par le lent travail de toutes les intelligences et de toutes les volontés. Si le principe révolutionnaire réside aujourd’hui quelque part, ce n’est pas en ceux qui réclament la liberté, car la liberté, c’est-à-dire le règne de l’opinion, est la garantie la plus assurée contre les révolutions : c’est chez ceux qui, refoulant violemment l’esprit de réforme et voulant maintenir par la force des institutions que la vie, c’est-à-dire la croyance générale abandonne, accumulent sous leur base les formidables élémens dont l’explosion ne peut tarder à les réduire en poudre.


P. CHALLEMEL-LACOUR.