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secrètes de la vie de Mirabeau en faveur des services qu’il le soupçonne d’avoir voulu rendre à la contre-révolution. On souhaiterait seulement que cette indulgence ne fut pas réservée à lui seul. Non pas que je reconnaisse au génie et au talent des immunités particulières à l’égard de la morales mais c’est une dangereuse et redoutable épreuve que d’être jeté dans la mêlée des révolutions. Elles ne déchaînent pas seulement les passions politiques ; la fièvre universelle, qui met le feu dans l’âme de l’homme public et qui exalte toutes ses fibres, est dangereuse aux vertus dont se compose l’honnêteté ordinaire. Sous le coup d’événemens qui enveloppent chaque lendemain d’une si profonde incertitude, combien ne voit-on pas d’hommes, dans le temps même où ils agitent les plus hauts intérêts et où ils devraient, ce semble, ménager toutes leurs forces pour suffire à la tâche, combien n’en voit-on pas mêler les petits plaisirs aux grandes affaires, que dis-je ? chercher le repos dans l’orgie, et donner l’exemple de faiblesses qui deviennent à nos yeux d’indignes oublis, quand elles se dessinent à distance sur le fond sinistre des angoisses ou des catastrophes publiques ! On dirait qu’au milieu de ces luttes tragiques le plaisir est un abri où les hommes se précipitent impétueusement. Aussi aurais-je peine, si j’étais historien, à rompre le silence sur ces imputations que tous les partis se jettent les uns aux autres. On connaît assez les faiblesses des girondins, et je ne ferme pas les yeux sur les fautes graves qui leur sont justement reprochées ; mais le moyen de souscrire à l’appréciation presque odieuse de M. de Sybel ? «… On chercherait en vain une différence entre eux et les cordeliers : immoralité des individus, domination violente des masses, mépris du droit et destruction de la propriété, émancipation de la chair et avilissement de la religion, sur tous ces points les girondins sont d’accord avec Robespierre et Marat[1]. » Quoi ! Robespierre était pour l’émancipation de la chair, et il n’y a pas à distinguer entre les girondins et leurs plus acharnés adversaires ? Nous ne savons comment ce genre d’appréciations est qualifié en Allemagne ; elles n’ont pas de nom en France, et l’écrivain qui se les permettrait et qui prendrait avec l’histoire de telles libertés, loin de compter parmi les historiens, aurait peine à se faire accepter même parmi les pamphlétaires, car le pamphlet lui-même n’est pas dispensé de couvrir l’injure de quelque vraisemblance. Il n’y a plus à discuter, on ne peut que sourire lorsqu’on voit un écrivain qui affiche de si grandes prétentions à l’impartialité scientifique traiter de ce ton de tels hommes, et dire, par exemple, de Mme Roland, « qu’elle

  1. Tome Ier, p. 292.