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inconciliable avec le crime, et cette croyance seule pouvait avoir la vertu de les enflammer du fanatisme qui les a soutenues. Les minorités et les masses qu’elles mettaient en mouvement eurent en outre pour elles la brutalité native à laquelle s’associe d’ordinaire un certain degré d’énergie, une conscience sans scrupule, des passions fortes, pour tout dire, l’instinct de leur conservation propre et la certitude qu’après avoir tant fait elles ne pouvaient se sauver qu’en faisant plus encore. La France avait contre elle son indécision, et cette indécision tenait à ce qu’elle ne pouvait ni renoncer à ses espérances de rénovation et revenir franchement au régime dont elle s’était séparée, ni accepter les nécessités de la lutte contre tout ce qui s’opposait à l’établissement du régime nouveau.

Nous avons été témoins depuis peu d’années d’une chose qu’on ne croyait pas possible, l’ordre dans les révolutions. L’Italie, l’Allemagne, la Hongrie, les États-Unis se sont tirés de situations profondément révolutionnaires par des procédés réguliers, à l’aide de forces organisées, sans désordre, bien que le sang ait coulé à flots. Cette nouveauté et ce succès ont presque réconcilié nombre de gens modérés avec l’idée de révolution, et M. de Sybel lui-même n’aurait garde, j’en suis sûr, de les condamner toutes, à l’heure qu’il est, sans faire au moins une exception. On s’est pris à regretter en France que la nôtre ne se fût pas faite ainsi. On oublie que ces révolutions étaient de celles que les gouvernemens favorisent parce qu’elles se font à leur profit, ou que du moins elles se présentent à eux (c’est ce qui explique le succès de la Hongrie) comme un expédient suprême. M. de Cavour, M. de Bismarck, M. Deak, ont été soutenus par la triple puissance du peuple, de l’opinion, de la nécessité. Toute juste que fût au contraire dans ses prétentions premières la révolution française, elle soulevait contre elle tous les privilégiés de l’Europe, toutes les forces constituées de l’état, le gouvernement, l’armée. Elle n’eut bientôt, pour se défendre contre l’assaut de tous ces ennemis, que la seule force qui puisse pendant un temps rivaliser d’énergie avec l’armée et dont la discipline puisse s’improviser, les masses d’une capitale : déplorable ressource qui laisse rarement à ceux qui osent appeler à leur aide de pareils auxiliaires l’espoir de ne pas se souiller eux-mêmes, car on ne met pas les masses en branle par les meilleurs sentimens, et on ne s’arrête pas où l’on veut quand on s’est placé à leur tête. Il n’en est pas moins faux de tout imputer dans la révolution à la méchanceté des hommes. Les mobiles humains ne sont pas si simples, et les masses comme les individus obéissent à des impulsions complexes, où le bien et le mal se mêlent en mille proportions. Si par suite de la retraite successive des plus honnêtes et des plus timides