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l’auraient compromise et perdue par leurs forfaits, si elle avait pu l’être. Cela dit, on ne peut s’empêcher de rechercher comment ce mauvais levain de la nature put l’emporter dans tant d’hommes à la fois, quelles circonstances poussèrent les passions, les colères, les vanités à ce point d’exaspération maladive, surtout comment l’autorité tombée en de pareilles mains finit pourtant par se faire accepter.

Ce furent de belles journées que celles de la courte période où la France et ses représentans de tous les ordres travaillèrent ensemble avec autant d’ardeur que de bonne foi à modifier les institutions d’après cette justice terrestre si nouvelle dans une société gouvernée jusque-là par des principes tout différens. Les cahiers montrent clairement, à mesure qu’on les étudie davantage, combien les idées dont la révolution s’inspira étaient enracinées dans les couches actives de la nation, quoiqu’on fût loin de l’unanimité célébrée par tant d’historiens. Bien des égoïsmes et des préjugés résistaient encore ; mais dans leur ensemble les idées qui présidèrent à la refonte des institutions et qui ont prévalu étaient, on peut le dire, la pensée de la France. Il y a loin malheureusement de la conception pure au fait. Lorsqu’on en vint à l’exécution, on toucha tout d’abord à des intérêts délicats qui s’irritèrent ; il fallût remuer les choses plus profondément qu’on ne l’avait prévu ; tout se tenait dans le vieil édifice, cimenté par les privilèges, et l’on ne put en toucher une partie sans qu’il ne branlât de la base jusqu’à la voûte. Alors se manifestèrent des craintes que l’on comprend, des scrupules excusables, des résistances que l’on n’ose condamner, bien qu’elles ne tendissent à rien moins qu’à mettre à néant le travail déjà fait, à paralyser cet accord de bon vouloir qu’on ne retrouverait plus, à réduire les réformes aux proportions de quelques mesures financières, à tout perdre en un mot, car on périssait par l’inertie plus sûrement que par l’action. On se rejeta avec d’autant plus de violence en arrière que les premières réformes essentielles avaient révélé le péril dans toute son étendue, et ceux qui persistèrent à vouloir aller jusqu’au bout se trouvèrent, presque dès le début, former une minorité.

Une nation peut former des vœux, elle a rarement des volontés, plus rarement encore des volontés suivies ; l’énergie et la suite ne sont jamais le partage que d’un petit nombre. Aux premières difficultés, la masse s’alarme et se décourage ; pour peu que la mesure des désordres habituels dans un grand état s’accroisse en un moment de crise pour l’autorité, ces désordres, auxquels oh ne pensait pas la veille, effraient maintenant outre mesure, et l’on sacrifiera les plus chères espérances en retour d’un peu de sécurité. Il