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après qu’il s’enfuit, décidé, assure-t-on, à s’arrêter à Montmédy, « parce qu’étant près des frontières, il serait plus à portée de s’opposer à toute espèce d’invasion. » La reine ne voulait ni de l’aide que lui offraient les constitutionnels, — le moyen de se jeter entre les bras des transfuges à qui elle ne pouvait pardonner d’avoir causé ses premiers malheurs ? — ni du secours des émigrés, — sa fierté n’avait-elle pas trop souffert déjà des allures quasi souveraines des princes pour qu’elle s’exposât à subir l’insolence de leurs caprices, si elle les acceptait pour sauveurs ? Elle n’acceptait, elle ne désirait que le secours de l’étranger. Dieu me garde d’affecter ici une indignation qui serait une absurdité, si elle n’était surtout une injustice ! Il ne faut pas demander à l’homme plus que la nature humaine ne peut donner ; je ne puis considérer dans une pareille situation les défaillances d’un caractère faible, je considère seulement avec un sentiment de pitié profonde et presque de respect les mortelles angoisses d’une conscience déchirée, et je dis que l’illusion était par trop grande de croire que Louis XVI pût être le gardien fidèle d’un régime où il ne voyait que démence et iniquité ; mais aussi que cette conspiration, dont on sentait le réseau se resserrer d’heure en heure et s’appesantir de toutes parts, ait précipité la guerre, il n’y a pas lieu d’en être surpris. Si la guerre ne tarde pas à prendre un caractère de propagande, il ne dépendait pas de la révolution qu’il en fût autrement ; si par exemple les populations rhénanes l’accueillent en libératrice, s’il se trouve dans Mayence un peuple tout prêt à secouer un joug étouffant pour se donner à la France, cela prouve uniquement que, vraies ou fausses, les idées de la révolution étaient une force qu’il n’appartenait pas à celle-ci de répudier.

Pour peu qu’il veuille bien y réfléchir encore, M. de Sybel nous accordera, je pense, une chose : c’est que la Prusse n’était pas plus fondée sous Frédéric II à envahir la Silésie, sous Frédéric-Guillaume à prendre sa part de la Pologne, sous Guillaume Ier à attaquer l’Autriche, que ne le fut la France à déclarer la guerre la première en 1792. Nous ne lui demanderons pas d’admirer l’énergie qu’elle y déploya et l’héroïsme de la nation dans cette crise ; ce sont des vérités qu’il n’est pas obligé de reconnaître, ou plutôt il ne le peut pas. Selon lui, le peuple, tout entier aux querelles des partis, n’eut jamais aucune idée du danger, et le gouvernement, parfaitement instruit de la faiblesse des souverains coalisés, n’y crut pas une minute. Telle est la thèse de l’historien, et il ne saurait en démordre sans abandonner tout son livre, elle lui est absolument nécessaire : il faut que le danger n’ait jamais été qu’une apparence et un prétexte pour qu’il puisse transformer les mesures