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y avait lieu d’hésiter, rien qu’à voir de quelles espérances l’approche de la guerre remplissait ses ennemis du dedans. Louis XVI put bien faire, sans changer de visage, à l’assemblée la proposition qui lui était dictée par ses ministres de déclarer la guerre à l’Autriche ; qui sait en effet s’il ne crut pas en ce moment voir poindre à l’horizon la voile de salut ? Vainqueur, il aurait eu à sa disposition l’armée qui lui manquait pour dompter les factieux ; vaincu, il devait s’attendre à trouver dans l’ennemi triomphant un libérateur. Toutefois on comprend aussi ceux qui, pénétrés d’une foi sans bornes dans la révolution et fatigués de la voir menacée de toutes parts, ne voulaient pas laisser refroidir dans les masses le premier feu du patriotisme. Toutes les opinions et toutes les perplexités étaient naturelles ; mais ce qui n’est pas douteux, ce qu’on n’a jamais mis en question, c’est le droit de la France de répondre par les armes aux provocations qui lui étaient adressées à chaque instant. Il n’y eut jamais de gouvernement qui ne se fût cru autorisé à commencer la guerre par les menées publiques ou couvertes auxquelles les souverains se livraient alors, par leurs déclarations délibérées dans des congrès, par les réunions de troupes qu’ils formaient pour donner du poids à leurs injonctions.

Une nature endormie et molle comme l’empereur Léopold II, un caractère indécis et fantasque comme le roi de Prusse, livré du matin au soir à mille influences contraires, jouet continuel de ses caprices, de ses vanités et de ses favoris, ne pouvaient mettre beaucoup de suite dans leurs desseins. M. de Sybel s’est imposé la tâche de tirer de leurs conversations et de leurs lettres la preuve qu’ils ne voulaient point faire la guerre à la France ; il n’a pas grand’peine du moins à les montrer souvent en contradiction avec eux-mêmes, il faire voir que la constance dans les projets n’est pas le propre de ceux qui ne consultent que les passions et l’intérêt. Ce qui surnage malgré tout, c’est la pensée constante de s’unir pour écraser la France. Aux documens les plus certains, aux actes publics qui font foi pour tout le monde, M. de Sybel oppose les variations quotidiennes des. intrigues de cabinet. Quelle valeur ont à ses yeux des actes comme la déclaration de Pavie[1] ou comme la lettre aux souverains[2], dans lesquelles l’empereur se fait le promoteur d’une croisade contre les scandaleuses usurpations dont la France est le théâtre et qui sont une insulte à tous les trônes ? Que lui importe

  1. 18 mai 1791.
  2. Padoue, 6 juillet 1791.