Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expliquer l’abstention de l’Autriche, que l’Alsace et la Lorraine devaient lui être abandonnées en compensation ; M. de Sybel, qui nous affirme après tant d’autres que les coalisés n’en voulaient pas à l’intégrité de notre territoire, qui a tant lu de correspondances secrètes et tant pénétré de mystères, devrait bien nous éclairer sur ce qu’il faut en croire. Ce qu’il y a de certain, c’est que les armées alliées refusèrent d’accepter la reddition de Strasbourg au nom de Louis XVII, et prirent possession de Valenciennes et de Condé au nom de l’Autriche.

On sait aujourd’hui ce que vaut la doctrine qui consiste à justifier par les vices du gouvernement d’un peuple et les divisions qui le déchirent un attentat à son indépendance ; nous avons appris par des leçons qu’on n’oublie point ce qu’elle cache de bas intérêts et de desseins inavouables. Quel gouvernement est assez sûr de sa propre, perfection pour avoir le droit d’agir en messie armé de la justice ? Ce n’est pas d’ailleurs à la pointe de l’épée que s’implantent chez un peuple les vertus politiques ; l’épée n’importe que désordre et servitude. On sait tout cela ; mais il n’en est pas moins instructif de voir l’impératrice de Russie faire marcher une armée en Pologne pour restaurer les libertés de la république[1] et pour arrêter le fatal progrès de l’esprit monarchique[2], tandis que le roi Frédéric-Guillaume II invoque la nécessité d’opposer une digue à une propagande anarchique et aux doctrines de désordre soutenues dans les clubs. Admirable entente de deux souverains, dont l’un va défendre les libertés républicaines, et l’autre étouffer un foyer de jacobinisme ! Qui oserait après cela reprocher trop durement à la révolution d’avoir eu dans ses principes une foi aveugle et cru qu’ils renfermaient la régénération universelle ? M. de Sybel n’en montre pas moins pour ceux qui ont exécuté la Pologne, pour la Prusse surtout, une extrême indulgence. J’admire l’adresse avec laquelle il pratique le système de bascule entre la raison morale et la raison d’état, entre l’intérêt et le droit, entre des procédés plus dignes des tyranneaux de la Romagne au XVIe siècle que de grands états du XVIIIe et les sophismes philosophiques les plus grossiers. Il a réponse à tous les reproches, et pour toute action odieuse une atténuation. Il s’afflige des brutalités qui ont accompagné l’événement ; mais y eut-il jamais agression justifiée par de plus pressans motifs de sécurité personnelle ? Forte, la Pologne avait toujours été une menace pour la Prusse ; faible, elle était une place d’armes de la Russie. il regrette ces violations du droit existant et des engagemens les plus formels ; mais la Pologne n’avait-elle pas la première

  1. Déclaration du ministre russe à Varsovie le 18 mai 1792.
  2. Adresse des confédérés de Targowitz à l’impératrice.