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Pologne occupe dans son tableau ; cette place est presque égale à celle de la révolution française. Eh bien ! le premier de ces deux événemens a beau être important, et il l’est sans contredit, l’auteur a beau le grossir encore, en suivre pas à pas la préparation dans les souterrains de la diplomatie où il se complaît, la place qui lui est donnée forme une disproportion évidente. Ce jeu de pirates couronnés reste, malgré le succès qu’il obtient à la fin, d’un faible intérêt à côté de la partie qui s’ouvre bientôt entre eux et la révolution française. Dès que celle-ci s’annonce, elle efface tout, et l’on est singulièrement dépaysé lorsque des grands débats de la convention l’on se voit transporté parmi les Tauenzien, les Buchholz et les Thugut, sur le théâtre des rivalités royales et des savantes jongleries.

Le préjugé qui depuis longtemps identifie l’histoire de l’Europe et celle de la France pendant la période révolutionnaire n’est pas uniquement un préjugé français, il est partagé par les Allemands eux-mêmes ; M. de Sybel, forcé de le reconnaître, s’en indigne et les gourmande sévèrement à ce sujet. Combien, à l’en croire, ce préjugé n’a-t-il pas répandu d’erreurs ! Combien d’illusions préjudiciables à l’honneur allemand n’a-t-il pas consacrées ! Grâce à ce préjugé, la France, qui presque seule a parlé jusqu’à présent, a pu faire en Europe une opinion à sa guise ; tort plus grave et plus inattendu, les envahisseurs de la Pologne ont laissé contre la coutume la parole exclusivement aux vaincus, et ceux-ci en ont abusé pour donner le change au monde à leur profit, et capter aux dépens de la justice la pitié publique ! L’Allemagne, l’innocente Allemagne, a, par son mutisme volontaire, encouragé trop longtemps la calomnie ; l’heure est venue pour elle de rompre le silence, et M. de Sybel se fait fort, en reprenant au point de vue national une histoire profondément altérée, d’y rétablir enfin la vérité à l’aide des documens que la Providence (le mot y est) lui avait réservés ! Nous ne demandons pas mieux que de le suivre dans cette voie, et d’abord, puisque le point de vue national domine tout chez lui, il ne sera pas inutile de le définir avec un peu plus de précision et de chercher quelles sont les règles morales dont il conduit l’historien à faire application dans la politique. Nous n’avons pour cela qu’à voir quelle idée il se fait de la Prusse, de son rôle, des droits que ce rôle lui confère, et de quelle manière il apprécie l’affaire qui lui tient le plus au cœur, le partage de la Pologne. Nous arriverons par ce détour à nous expliquer parfaitement les sévérités qu’il prodigue à la révolution française.

On n’accusera pas M. de Sybel de n’avoir pas cru d’assez bonne heure aux destinées de la Prusse. Plus de quinze années avant le jour qui devait lui donner raison, il ne craignait pas d’identifier la