Retiré temporairement de la politique active, il poursuit le grand ouvrage dont le quatrième volume est annoncé et qu’il avait conçu dès 1848. Cette date est à remarquer. Les mouvemens qui ébranlèrent cette année-là toute l’Europe se rattachaient sous plus d’un rapport, on ne peut le nier, à celui de 1789. Cette secousse n’ayant manifesté de toutes parts qu’une profonde perturbation d’idées et produit, au lieu d’un progrès dans la liberté, qu’une réaction déplorable et une catastrophe pour le droit, — la révolution, étudiée à cette lumière, n’y a pas gagné. De cette époque a commencé dans beaucoup d’esprits jusque-là sincèrement persuadés du bienfait de la révolution un travail latent de défiance, puis une révision qui, faite par des intelligences aigries et sous l’empire d’un état politique affligeant, s’est enhardie graduellement dans la rigueur et a fini par aboutir à ce qu’on pourrait prendre pour d’éclatantes défections. Il est temps sans doute de se défaire d’un enthousiasme hors de saison, de choisir librement dans l’héritage de la révolution, de la juger en toute franchise, de repousser une solidarité fatale, ne fût-ce que pour décourager ainsi le rêve d’une imitation absurde, si de tels rêves hantaient encore quelques cervelles ; mais il faut nous garder aussi de répandre dans les jugemens que nous portons sur elle l’amertume de nos déceptions. La politique la plus prudente et la meilleure conduite ne prémunissent pas toujours un peuple contre ses propres défaillances et ne le mettent pas nécessairement à l’abri de toutes les surprises. Il ne serait pas juste de rendre la révolution responsable de ce qui doit être imputé aux fautes commises pendant un laps de soixante années ou aux crimes réitérés de l’usurpation. On connaît des historiens qui n’ont raconté l’histoire de la révolution que pour y chercher leur propre apologie, pour lui faire honneur d’idées qu’elle n’a point connues, de systèmes qu’elle a non-seulement repoussés, mais impitoyablement réprimés dès qu’ils ont paru au grand jour. D’autres veulent y découvrir au contraire la source des mécomptes de la France et des dangers qu’ils prévoient pour elle. M. de Sybel y cherche les premières manifestations d’une politique qu’il condamne, et il va sans dire qu’il les y trouve. Ce sont là autant d’écarts à la vraie méthode. On doit juger la révolution en elle-même, sur ce qu’elle a voulu et sur ce qu’elle a fait.
Un procédé si périlleux ne devait pas être employé par un écrivain qui fait profession de n’écouter que les faits et qui surtout a le bonheur de n’avoir point de théorie personnelle à défendre. M. de Sybel n’est ni un utopiste ni un improvisateur, comme le prouve assez son ouvrage, commencé depuis plus de quinze ans ; c’est un chercheur patient et difficile, qui ne se contente pas des sources imprimées ; il court après les documens originaux, il fait grand