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Suède, de la Hollande, de la Belgique, de l’Italie. Des instituts sont déjà créés à Pétersbourg, à Heidelberg et ailleurs ; il est à ma connaissance que dans ce moment il s’élève à Leipzig un magnifique institut physiologique qui sera sous la direction de l’éminent professeur Ludwig.

Toutes les nations rivalisent en quelque sorte dans l’empressement qu’elles mettent à protéger la physiologie et à lui fournir tous les moyens de culture qui lui sont nécessaires. Je n’ai plus qu’un vœu à exprimer, c’est que notre pays, ainsi que je l’ai déjà dit, qui a eu la gloire de donner le jour à d’illustres promoteurs de la physiologie moderne[1], s’associe au mouvement scientifique général et encourage les sciences physiologiques, dont il est important de faciliter l’accès aux jeunes générations de savans.

Mais la physiologie ne saurait borner son rôle à expliquer les fonctions les plus grossières du corps humain ; elle doit éclairer aussi les mécanismes de la psychologie, elle est appelée par conséquent à réagir directement sur les opinions philosophiques. Peut-être se rencontrera-t-il des esprits qui, poursuivant à l’aide de la logique les conséquences extrêmes de ce que nous avons dit sur la possibilité de régler tous les phénomènes de la vie, seront portés à voir dans cette prétention physiologique une contradiction avec la philosophie et même une négation de la liberté. De semblables oppositions ne me paraissent pas à craindre, car la science ne saurait détruire les faits évidens d’eux-mêmes, seulement elle peut arriver à les comprendre autrement. Je me bornerai à dire, par exemple, que le déterminisme absolu que le physiologiste reconnaît et démontre dans les phénomènes de la vie est lui-même une condition nécessaire de la liberté. Le savant ne concevrait pas en effet qu’un phénomène, quel qu’il soit, puisse être librement manifesté dès qu’il n’est régi par aucune loi et qu’il est indéterminé par nature. Je pense d’ailleurs qu’il n’y a pas pour le moment à se préoccuper de semblables questions. Nous n’avons qu’à continuer nos investigations et à attendre patiemment les solutions de la science. Elle ne peut nous conduire qu’à la vérité, et tenons pour certain que la vérité scientifique sera toujours plus belle que les créations de notre imagination et que les illusions de notre ignorance.

Claude Bernard.
  1. Voyez mon rapport fait au ministre de l’instruction publique sur la marche et les progrès de la physiologie générale en France.