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tandis que la pensée scientifique expérimentale moderne doit être d’expliquer ces phénomènes et de les maîtriser au profit de l’humanité. Nous savons que par la physique et par la chimie l’homme a déjà assuré sa domination sur les phénomènes des corps bruts ; mais une autre conséquence également nécessaire de l’évolution scientifique que j’ai voulu proclamer ici, c’est que par la physiologie l’homme doit ambitionner aussi d’étendre sa puissance sur les phénomènes des êtres vivans.

La civilisation moderne, en conquérant par la science la nature inorganique et la nature organisée, se trouvera placée dans des conditions nouvelles entièrement inconnues aux civilisations antiques. C’est pourquoi il n’est peut-être pas toujours logique d’invoquer l’histoire des peuples anciens pour supputer les destinées des peuples nouveaux. L’humanité semble avoir compris aujourd’hui que son but est non plus la contemplation passive, mais le progrès et l’action. Ces idées pénètrent de plus en plus profondément dans les sociétés, et le rôle actif des sciences expérimentales ne s’arrête pas aux sciences physico-chimiques et physiologiques ; il s’étend jusqu’aux sciences historiques et morales. On a compris qu’il ne suffit pas de rester spectateur inerte du bien et du mal, en jouissant de l’un et se préservant de l’autre. La morale moderne aspire à un rôle plus grand : elle recherche les causes, veut les expliquer et agir sur elles ; elle veut en un mot dominer le bien et le mal, faire naître l’un et le développer, lutter avec l’autre pour l’extirper et le détruire. On le voit donc, c’est une tendance générale, et le souffle scientifique moderne qui anime la physiologie est éminemment conquérant et dominateur.


II.

De tout temps, les phénomènes de la vie ont été considérés sous deux faces différentes et pour ainsi dire opposées. Les physiologistes animistes ou vitalistes ont pensé que les manifestations vitales sont régies par des influences spéciales, et ils ont admis que la force vitale, quel que soit le nom qu’on lui donne (âme physiologique ou archée, principe vital ou propriétés vitales), est essentiellement distincte des forces minérales, et se tient même avec elles dans un antagonisme constant. Les physiologistes chimistes physico-mécaniciens ont soutenu au contraire que les fonctions vitales doivent se ramener à des phénomènes mécaniques ou physico-chimiques ordinaires, pour l’explication desquels il n’est nécessaire de faire intervenir aucune force vitale particulière.

En voyant que nous considérons la physiologie comme une science