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I.

Afin de bien comprendre le caractère du problème physiologique, il faut d’abord circonscrire la physiologie générale et montrer qu’elle est une science expérimentale et non une science naturelle. Les sciences naturelles sont des sciences d’observation ou descriptives. Elles nous donnent la prévision des phénomènes ; mais elles restent des sciences contemplatives de la nature. Les sciences expérimentales sont des sciences d’expérimentation ou explicatives. Elles vont plus loin que les sciences d’observation, qui leur servent de base, et arrivent à être des sciences d’action, c’est-à-dire des sciences conquérantes de la nature. Cette distinction fondamentale entre les sciences naturelles et les sciences expérimentales ressort de la définition même de l’observation et de l’expérimentation. L’observateur considère les phénomènes dans leur état naturel, c’est-à-dire tels que la nature les lui offre, tandis que l’expérimentateur les fait apparaître dans des conditions dont il est le maître.

La physique et la chimie, qui sont les sciences expérimentales dans le règne des corps bruts, ont conquis la nature inerte ou minérale, et chaque jour nous voyons cette conquête s’étendre davantage. La physiologie, qui est la science expérimentale dans le règne des corps organisés, doit conquérir la nature vivante ; c’est là son problème, ce sera là sa puissance. Cette division des sciences biologiques en sciences naturelles et en sciences expérimentales est nécessaire à leurs progrès. D’un côté, la physiologie ne peut avancer qu’en se constituant comme une science indépendante, et d’autre part les sciences naturelles qui ont concouru à son évolution et préparé son avénement feraient fausse route, et perdraient leur véritable point de vue, soit en voulant la suivre dans sa marche, soit en essayant de la retenir dans leur circonscription. Par la même raison, les naturalistes, minéralogistes et géologues pourraient réclamer la physique et la chimie comme appartenant à l’histoire des minéraux. De même encore le naturaliste anthropologiste devrait, ainsi que cela d’ailleurs a été fait par certains auteurs, considérer la physiologie humaine et la médecine comme ne formant que des divisions de l’anthropologie. On sent tout de suite combien il serait facile de pousser jusqu’à l’erreur de semblables raisonnemens, car la littérature, les arts, la politique, toutes les connaissances humaines en un mot, appartiendraient à l’anthropologie, puisqu’elles rentrent dans l’histoire de l’intelligence de l’homme. Cette manière de diviser les sciences d’après la considération de l’objet qu’on étudie n’aboutirait qu’à l’obscurité et à la confusion, tandis qu’en envisa-