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dépenses, malgré le patriotique empressement que mirent toutes les classes de la société sans exception à payer le subside de guerre.

En 1683, la France perdit Colbert ; six ans plus tard, elle fut en présence de la ligue d’Augsbourg, qui constitua contre elle une coalition permanente malgré quelques années d’une paix précaire, et bientôt elle dut faire face aux périls de la guerre de la succession. Dans ces extrémités, les divers contrôleurs-généraux, depuis Lepelletier jusqu’à Desmaretz, le plus intelligent de tous, recoururent aux tristes expédiens qui, à partir du XIVe siècle, avaient constitué le fonds même de la science économique. On altéra la valeur des monnaies en la surhaussant d’un dixième, on augmenta d’un quart la taxe des lettres ; on aliéna des terres du domaine avec cinq cents lettres de noblesse vendues à l’encan ; on reprit surtout à grand renfort d’imagination ces fructueuses créations d’offices que des sots, si absurde que fût l’emploi, se rencontraient toujours à point nommé pour acheter[1]. La France eut des magistrats semestriels et trimestriels, des lieutenans-maires acquérant la noblesse en versant le prix de leurs charges ; elle eut des taxateurs et calculateurs aux dépens, des contrôleurs pour les actes notariés, des jurés crieurs d’enterremens et de mariages, des greffiers de l’écritoire, des conseillers rouleurs de vin, des contrôleurs visiteurs de beurre frais, des essayeurs de beurre salé, étranges fonctionnaires qui, malgré l’évidente inutilité de leurs fonctions, s’interposaient dans toutes les transactions de la vie privée, exigeant, sous peine de poursuites, le prix attaché par l’édit d’érection à l’exercice de leurs charges ridicules.

Lorsque ce déluge de créations fiscales s’abattit sur la Bretagne, les états, malgré la nullité où ils étaient tombés, ne purent s’empêcher de pousser un long cri d’indignation. Ce cri retentit dans leurs remontrances de 1697, 1701, 1703 et 1707. Ces tributs onéreux imaginés par un gouvernement aux abois étaient tellement incompatibles avec le droit toujours reconnu, du moins en principe, à la province, de consentir les impôts, ces érections étaient en contradiction si formelle avec les engagemens pris par Henri IV, par Louis XIII et par Louis XIV au début de son règne, de ne créer en Bretagne aucun nouvel office salarié sans l’assentiment des états, qu’il devenait impossible pour ceux-ci de garder le silence sans manquer à l’honneur. Dépositaires des droits de la province en des jours difficiles, ils devaient tout au moins interrompre la prescription dont on n’aurait pas manqué d’arguer plus tard contre elle. Ils le firent

  1. Forboumais, Recherches sur les Finances, t. IV, p. 38. — Bailly, Histoire financière, t. II, p. 18 et suiv.